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Gérard Araud – Pourquoi l’Amérique aime tant les armes à feu

CHRONIQUE. Lorsqu’il йtait ambassadeur а Washington, Gérard Araud a compris d’oщ venait cet attachement aux armes. La tuerie dans une école du Texas n’y changera rien.

même manière : l’assassin, plus ou moins déséquilibré, lourdement armé, procède méthodiquement à son crime avant d’être abattu par la police.

C’est le 288e incident de la sorte aux États-Unis pour les cinq premiers mois de 2022. 288 ! Presque deux par jour. Heureusement, tous ne se terminent pas avec des victimes, mais, aujourd’hui, la mort par balle est devenue la première cause de décès chez les enfants américains. Toutes les écoles font d’ailleurs des exercices réguliers pour apprendre aux élèves à réagir en cas d’une telle attaque.

Le scénario qui suit une telle tragédie est désormais bien rodé : les démocrates, soutenus par les parents de victimes, réclament une réglementation des ventes d’armes pour mettre un terme à ce cycle infernal, tandis que les républicains les accusent de politiser l’événement, appellent à la prière, prétendent n’y voir qu’un problème de santé mentale et jugent qu’il faut renforcer la protection des écoles, en armant, par exemple, les enseignants. Hier, Fox News proposait de doter les classes de portes et de fenêtres blindées… Cela étant, la presse qui, dans des incidents précédents de cette gravité, pensait que le Congrès ne pourrait rester sans agir, ne fait même plus mine d’y croire. Tout le monde sait que rien ne se passera.

Les 350 millions d’Américains posséderaient aujourd’hui 460 millions d’armes, soit 40 % du nombre total des armes détenues par des particuliers dans le monde. Il y a d’ailleurs fort à parier que, comme après chaque massacre, les ventes vont connaître un pic dans les semaines qui viennent. Chaque année, plus de 42 000 Américains meurent par balle, 1 500 en France. En d’autres termes, un Américain a un risque six fois plus élevé qu’un Français de mourir par balle. La détention généralisée des armes à feu a évidemment des effets meurtriers : elle facilite les suicides qui sont, de loin, aux États-Unis comme en France, la première cause de tels décès, elle conduit à des accidents et elle contraint la police à être plus meurtrière de peur que le délinquant ne soit lui-même armé. Chaque année, plus de 1 000 Américains sont tués par la police ; en France, la moyenne oscille entre 15 et 20…

Pionniers, NRA et 2e amendement

Toutes les explications possibles ont été données de cette folie américaine : l’histoire d’un pays de pionniers où on se faisait soi-même justice en l’absence de police, la méfiance vis-à-vis de l’État contre lequel on veut être prêt à se défendre, la puissance du lobby des manufactures d’armes, la NRA, « National Rifle Association », aux gros moyens financiers ou encore l’existence d’un amendement de la Constitution qui reconnaît le droit des citoyens à détenir des armes. Ces éléments jouent évidemment un rôle, mais, présents depuis toujours dans le pays, ils n’expliquent pas pourquoi les États-Unis sont saisis, dans ce domaine, d’une véritable frénésie depuis une vingtaine d’années, frénésie d’acquisition d’armes, puisque leur nombre a plus que doublé durant cette période, mais également frénésie pour lever toutes les limitations sur leur détention et leur port.

Les assemblées républicaines qui contrôlent une majorité d’États ont récemment multiplié les lois en ce sens jusqu’à interdire aux bars, aux Églises, aux hôpitaux et aux universités de refuser l’introduction d’armes dans leur enceinte. Au Congrès, les républicains se sont opposés à la moindre réglementation, ne serait-ce que pour avoir un fichier national des cas psychiatriques à consulter avant toute vente. On est là bien loin du sympathique folklore du Far West ; on est là loin même du seul effet des subventions de la NRA.

Guerre culturelle

En réalité, les armes sont devenues un des symboles de la guerre culturelle qui déchire les Américains. « God and Guns » – Dieu et les armes –, portent les stickers collés sur les pick-up aux larges pneus dans le Midwest. « Dieu et les armes », parce qu’on accuse la gauche et les élites des deux rives, de New York et de Los Angeles, de renier la vraie Amérique, celle qui va à l’église et qui porte des armes. C’est la révolte qui a porté Trump au pouvoir, celle des « red-necks » – des ploucs –, contre une Amérique où ils ne se reconnaissent plus. Nulle surprise que l’ancien président soit la star du Congrès de la NRA où il est toujours accueilli triomphalement et où on ne lui ménage pas le soutien le plus inconditionnel. Il est, en fait, impossible de conduire un débat serein sur cette question aux États-Unis.

Lorsque les uns demandent des mesures modestes et de bon sens pour réglementer, un minimum, un commerce qui est quasiment libre et sans contrôle, les autres réagissent non sur la base de ces propositions mais sur leur conviction que ce n’est qu’un premier pas pour leur prendre leurs armes, c’est-à-dire leur dignité d’homme libre. Les républicains n’ont alors d’autres choix que de surfer sur cette intransigeance. Pas un élu républicain qui ne se montre avec une arme au cours de sa campagne électorale. Plus d’un a envoyé une carte de vœux à ses électeurs le montrant avec toute sa famille, jeunes enfants inclus, chacun portant fièrement une arme automatique. Soyons, hélas, assurés que d’autres massacres se produiront.