CHRONIQUE. L’un tente d’éviter la guerre, l’autre la conduit. On pourrait croire le diplomate et le soldat éloignés, mais ils ont appris à travailler ensemble.
Le diplomate négocie pour éviter ou, au contraire, pour conclure un conflit dont la conduite échoit au militaire. En d’autres termes, l’un entre en scène lorsque l’autre en sort. Ce schéma a toujours été une caricature. Une négociation se conduit souvent sur la base des rapports de force, ce qui contraint le diplomate à connaître les moyens dont dispose le soldat si elle échoue. « Est-on prêt à se battre si nécessaire ? » est la question récurrente de la plupart des crises dans notre histoire.
Lorsqu’Édouard Daladier se rend à Munich, le 29 septembre 1938, il sait que la réponse est négative : les Britanniques ne peuvent envoyer que deux divisions en France ; la stratégie militaire du pays est strictement défensive, ce qui lui interdit de venir au secours de la Tchécoslovaquie et, à son départ, le président du Conseil a entendu le chef d’état-major de l’armée de l’air lui dire que la Luftwaffe balaierait l’aviation française en quinze jours. La capitulation était dès lors programmée et probablement inévitable.
Aujourd’hui, les circonstances sont, Dieu merci, moins tragiques, mais les rapports entre le diplomate et le soldat n’en sont pas moins toujours intenses. En effet, les opérations militaires dans lesquelles sont engagées aujourd’hui les armées françaises ne se résument pas à un affrontement sur le champ de bataille, mais s’inscrivent dans des conflits où dimensions politique et militaire sont indissociables. Il s’agit le plus souvent moins de vaincre un ennemi que de rétablir la souveraineté d’un État par un mélange de mesures militaires et de stabilisation politique. Le diplomate et le soldat y ont chacun simultanément leur rôle.
Lorsqu’en 2013, nous sommes intervenus au Mali, j’ai immédiatement reçu instruction, en tant que représentant permanent de la France au Conseil de sécurité, d’obtenir la création d’une force de maintien de la paix des Nations unies dans ce pays pour prolonger l’action antiterroriste de notre contingent et permettre au gouvernement de Bamako d’entamer un processus de réconciliation nationale sous la protection de la communauté internationale.
La présence de deux forces sur le même théâtre supposait une coordination étroite entre elles. La négociation du mandat onusien a donc été certes conduite par les diplomates français à New York, mais sous des instructions approuvées par l’état-major des armées à Paris. Sur place, notre ambassadeur et le commandant des forces Serval puis Barkhane restaient en contact quasi quotidien. Une approche plus ou moins comparable se retrouve sur la plupart des théâtres où nos armées sont engagées.
Deux maisons aux cultures fortes, distinctes et anciennes
Diplomates et soldats ont donc appris à travailler ensemble. Un diplomate fait toujours partie des cabinets du ministre de la Défense et du chef d’état-major et, même sur le terrain, figure souvent dans l’équipe du commandant de l’opération, quitte à porter à l’occasion un gilet pare-balles sur son costume. Symétriquement, des officiers sont détachés au Quai d’Orsay. Lorsque j’étais directeur des affaires stratégiques au Quai d’Orsay, je participais à une réunion hebdomadaire avec les représentants du ministère des Armées et de l’état-major pour vérifier que nous étions en phase. Tout y passait, de nos activités à l’Otan ou à l’UE jusqu’aux négociations de désarmement, à la coopération militaire internationale ou aux opérations en cours.
Par ailleurs, lorsque l’enjeu le nécessite, se réunit un conseil de défense présidé par le chef de l’État auquel participent notamment les ministres des Affaires étrangères et des Armées, instance dont les travaux sont préparés de concert par les services des deux administrations.
Tout n’est pas toujours facile. Les deux maisons ont des cultures fortes, distinctes et anciennes. Les logiques et les intérêts ne sont pas toujours les mêmes. Les diplomates pour obtenir un mandat des Nations unies peuvent être amenés à proposer des limitations des armements et des règles d’engagement de la force où les militaires verront un risque pour la sécurité de nos soldats.
On n’évitera jamais que les diplomates considèrent que les militaires manquent de subtilité et que les militaires leur renvoient la politesse sur leur manque de réalisme. Mais ces querelles quasi familiales ne doivent pas dissimuler le fait qu’en réalité, les circonstances les ont contraints à se rapprocher, à se connaître et, le plus souvent, à s’apprécier. Les uns sont obligés d’acquérir un vernis de technique militaire et les autres de culture diplomatique. En tant que directeur politique, j’ai d’ailleurs pu constater, en comparant nos pratiques à celles de mes homologues occidentaux, que mes contacts avec l’état-major, en particulier avec son chef, étaient plus proches et plus confiants qu’eux.