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Gérard Araud : Poutine, sauveur de l’Otan

18 juillet 2022 : CHRONIQUE. L’Alliance atlantique est ressuscitée depuis le dйbut de l’offensive russe en Ukraine. Une bonne nouvelle pour l’Europe et la France ?

l y a trois ans, Emmanuel Macron évoquait « la mort cérébrale » de l’Otan. Il avait alors raison : quel йtait l’avenir d’une alliance sans ennemi qui, de surcroît, n’était pas compétente pour lutter contre les vraies menaces qui pesaient sur l’Europe, que ce soient le terrorisme, le changement climatique ou l’immigration incontrôlée ? Raison sur le fond mais pas dans la forme tant il suscitait l’alarme chez nos alliés qui conservent un profond attachement pour cette organisation.
Pour les uns, а l’est de notre continent, elle représente la garantie américaine qu’ils jugent indispensable face а la Russie ; pour les autres, elle correspond а leur conception d’un espace euro-atlantique de sécurité qui doit unir l’Europe et les Etats-Unis.

Ce débat appartient désormais à l’Histoire. Le 24 février 2022, Vladimir Poutine a réveillé l’Otan. Nul ciment plus sûr pour une Alliance que la peur partagée ; cette peur que ravive l’agression russe en Ukraine. Voilà l’Otan plus forte et plus unie que jamais. La Finlande et la Suède, qui s’en étaient tenues à l’écart tout au long de la guerre froide, ont demandé à la rejoindre ; le contingent américain en Europe qui diminuait progressivement passera de 60 000 hommes à 100 000 hommes avec un état-major en Pologne ; les alliés ont décidé, au sommet de Madrid, cette semaine, d’accroître substantiellement le volume de leurs forces de réaction rapide, tandis que, l’un après l’autre, ils envoient des moyens militaires sur le territoire des alliés de l’Est. Enfin, individuellement, la plupart d’entre eux ont annoncé leur intention d’augmenter leur budget de la défense.

L’erreur monumentale de Poutine

Cette longue liste, inimaginable il y a trois mois encore, illustre l’erreur d’appréciation monumentale de Vladimir Poutine. Sans doute, pensait-il, après le succès de l’annexion de la Crimée, payée de quelques sanctions indolores, et au spectacle de l’inaction des Européens face à la sécession qu’il a suscitée dans le Donbass, que, une fois de plus, ils s’en tiendraient à une protestation de principe s’il envahissait l’Ukraine et réglait rapidement l’affaire. La résistance inattendue des Ukrainiens, l’échec de l’opération éclair qu’il envisageait et le traumatisme que constitue le retour de la guerre interétatique sur notre continent ont mis en échec cette stratégie. Les Européens se sont raidis face à ce qu’ils considéraient encore hier comme impensable. Par ailleurs, le président Zelensky a su incarner devant les opinions publiques l’héroïsme d’un peuple victime d’une agression particulièrement brutale.

Poutine se retrouve donc embourbé dans une guerre sans gloire où il peut espérer conquérir au mieux quelques cantons dévastés avec la double perspective d’une économie durement touchée par les sanctions et d’une coalition hostile renforcée à ses frontières. Depuis l’invasion américaine de l’Irak en 2003, je ne connais pas d’exemple récent d’un tel désastre géopolitique. La Russie a obtenu l’inverse de ce qu’elle cherchait, sans compter même la création dans le fer et le feu d’une nation ukrainienne qui voit désormais en elle l’ennemi absolu.

Mauvaise nouvelle pour la France

L’Otan est donc de retour, ce qui signifie, avant tout, que les États-Unis, qui se retiraient discrètement de notre continent jusqu’ici, font demi-tour et réaffirment leur engagement pour la sécurité européenne. Nul doute que tous nos partenaires en sont profondément satisfaits. L’assurance dont ils commençaient à douter a joué à plein et a retrouvé sa crédibilité ; ils sont donc prêts à en payer la prime, que ce soit en achat d’armes outre-Atlantique ou en acceptation inconditionnelle du leadership américain, y compris en Asie face à la Chine. Le bloc occidental est reconstitué sous la bannière étoilée comme aux plus beaux jours de la guerre froide. Bravo M. Poutine…

Inutile de le nier : ce n’est pas une bonne nouvelle pour la France qui a toujours renié la logique des blocs. Déjà rencontrait-elle les plus grandes difficultés à convaincre ses partenaires de l’intérêt de développer une défense européenne, mais, désormais, c’est une mission quasi impossible. Oui, nous devons faire un effort pour accroître nos moyens militaires, admettront les Européens, mais pourquoi ne pas le faire dans le cadre de l’Otan ? ajouteront-ils. Ils s’y tiendront tant que l’engagement américain ne fera pas de doute. Au-delà même des questions de sécurité, alors que la Russie et les Occidentaux se font face à coups de sanctions et de gesticulation nucléaire, alors que la première s’enferme dans une rhétorique extrémiste et les seconds dans les plis de leur indignation, alors que Russes et Ukrainiens veulent en découdre, il paraît difficile pour la France de faire valoir la voie de la diplomatie. On le voit bien à la réaction outragée des Ukrainiens et de nos alliés à la simple mention de la nécessité d’une négociation par le président de la République.

La solidarité que nous devons à un pays agressé peut aisément devenir un corset sous l’œil sourcilleux de nos partenaires les plus antirusses. Emmanuel Macron est donc condamné au funambulisme pour rester solidaire sans fermer la porte à la négociation. Il est déjà tombé une fois du fil. À lui d’y remonter et d’essayer d’être le pacificateur que doit être la France. Ce n’est pas loin d’une mission impossible.

Le Point