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Ce que change l’inculpation de Donald Trump

Gérard Araud

CHRONIQUE. Ron DeSantis peut-il profiter des ennuis judiciaires de l’ancien président pour lui ravir l’investiture républicaine ? Rien n’est moins sыr.

Les élections présidentielles américaines de novembre 2024 paraissent bien loin et, pourtant, non seulement la campagne électorale a déjà commencé, mais ses termes sont également connus. Face à un président sortant – Joe Biden – dont il est désormais à peu près certain qu’il se représentera, les républicains devraient lui opposer soit Donald Trump, soit, sauf surprise de dernière minute, Ron DeSantis, le gouverneur de Floride. Nous ne bénéficierions pas alors des rebondissements, de l’incertitude et des surprises qui font, tous les quatre ans, des primaires une bonne série à l’américaine. Cela étant, les républicains vont nous offrir un Rocky XI ou XII, un de ces matchs de boxe entre un champion vieilli – mais qui refuse de se retirer – et un jeune adversaire.

Trump a d’ailleurs commencé à porter les premiers coups : il ne rate pas une occasion pour dénigrer et ridiculiser son rival putatif, sans doute pour le décourager par avance, en lui faisant comprendre ce qui l’attend s’il se décide à franchir le pas. Mais le scénariste a de l’imagination, et voilà inculpé notre concurrent sur le retour par un jury de New York pour avoir utilisé des fonds électoraux dans le but d’acheter le silence d’une actrice avec laquelle il aurait entretenu une liaison adultérine. Pour faire bonne mesure, le pseudonyme de celle-ci est « Stormy Daniels », Daniels parce qu’elle aime le whisky… Reconnaissons qu’avec Trump, on ne s’ennuie jamais ; on s’ennuie d’autant moins qu’une aventure qui signerait l’échec de tout autre candidat ne représente en rien la fin de ses ambitions présidentielles. On se souvient de ses déclarations obscènes et misogynes en 2016 qui n’avaient pas empêché son élection.

De son côté, à défaut de nous régaler de péripéties aussi spectaculaires, DeSantis sait qu’il pourra compter sur le soutien de tous les conservateurs hostiles à l’ancien président, mais il lui faut également attirer à lui les électeurs de Trump sans lesquels une victoire est hors d’atteinte. En termes français, il doit réunir derrière lui « manif pour tous » et « Gilets jaunes » à la sauce américaine, évangélistes et victimes de la globalisation, comme a su le faire le vainqueur de Hillary Clinton. Il s’est donc lancé en Floride dans une campagne dont le seul objectif est de prouver que, avec lui, on aura du Trump… sans Trump. Il y multiplie les mesures démagogiques pour se présenter comme le champion de toutes causes identitaires conservatrices. Tout y passe, depuis la censure des programmes scolaires pour y interdire tout enseignement qui se réfère à l’identité sexuelle ou à la lutte contre le racisme jusqu’à l’épuration des bibliothèques scolaires des livres qui pourraient offenser les lecteurs. Et Dieu sait s’il est facile d’offenser un lecteur américain… Même les plus grands classiques n’y échappent pas. C’est après tout un État où une enseignante a dû démissionner parce qu’elle avait montré le David de Michel-Ange à des enfants de 11 et 12 ans…

Combattre une brute avec des gants de velours

DeSantis sait qu’une campagne électorale sera une épreuve difficile pour lui. Non seulement, il aura en face de lui un adversaire qui est prêt à recourir à tous les mensonges, à tous les coups bas et à toutes les calomnies, mais il sait également que, de son côté, il ne pourra pas rendre coup sur coup. En effet, l’exemple d’un autre candidat en 2016 qui avait disparu des sondages en quelques jours pour avoir essayé d’imiter Trump prouve que les électeurs ne tolèrent ces méthodes que chez « l’original », mais refusent les « copies ». Par ailleurs, il lui faudra ne pas s’aliéner les fidèles du vieux chef qui ne reporteraient pas leur vote sur un adversaire qui l’aurait trop étrillé. Combattre une brute avec des gants de velours… Le défi est de taille. À cet égard, dans l’immédiat, il va devoir prouver ses talents de funambule pour réagir à l’inculpation de Trump. Nul doute que la base trumpiste n’y verra qu’une nouvelle phase de la guerre que mèneraient les élites contre leur grand homme, et qu’elle sera renforcée dans ses convictions qu’il est frappé parce qu’il mène le bon combat, le leur. Le gouverneur de Floride devra en tenir compte et ménager le pécheur sans approuver le péché… Flatter les inconditionnels de Trump tout en laissant entendre aux nombreux républicains qui ne peuvent plus supporter les fantaisies de celui-ci que lui est différent.


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