CHRONIQUE. Aux États-Unis, l’âge du président, candidat à un nouveau mandat, est dans toutes les conversations républicaines… et démocrates. Et pas à son avantage.
Le voilà de retour aux États-Unis pour quelque temps et, dès mon arrivée, je suis frappé par le rejet que suscite la candidature Biden, même chez les plus démocrates de mes relations.
Je savais que l’âge du sortant – 80 ans aujourd’hui, 86 en fin d’un second mandat – soulevait des interrogations légitimes ; je prévoyais que les républicains feraient usage de cet argument mais je ne m’attendais pas une telle levée de boucliers dans tous les milieux contre la décision du président de se représenter. « Il est sénile », entendez-vous régulièrement dès que vous abordez le sujet. « Il est trop vieux », disent les plus bienveillants. Au cours de la campagne de 2016 qui devait voir la victoire de Donald Trump, un passage obligé des dîners à Washington était le moment où un convive entamait la lecture à haute voix du Manuel de la société américaine de psychiatrie pour prouver que celui-ci était atteint de narcissisme pathologique.
Il faut avouer que c’était assez convaincant. Aujourd’hui, mes interlocuteurs, soudain devenus spécialistes de gériatrie, discutent doctement de la gravité des symptômes que révèle Joe Biden. Les plus évidents sont une démarche hésitante qui le fait souvent trébucher et surtout de brefs moments où, à l’évidence, il ne sait plus où il est. Mes amis démocrates, décidément informés sur le sujet, m’affirment que c’est fréquent chez les personnes âgées, que ce n’est pas grave et que ça ne prouve pas de perte de lucidité. Cela étant, en tête-à-tête, ils sont moins affirmatifs et ne dissimulent pas leur inquiétude. Ils savent que, dans les voyages à l’étranger, il faut prévoir pour le président de longues plages de repos. Ils ont noté que, aux États-Unis, la plupart de ses rendez-vous et de ses sorties ont lieu entre 10 et 18 heures.
Candidat par défaut
Joe Biden est le seul qui pourrait répondre à la question que se posent beaucoup d’Américains : « Pourquoi se représente-t-il ? » Refus pathologique de mettre un terme à cinquante de vie politique, seule activité qu’il connaisse ? Sans doute. Prise en compte de l’impopularité de la vice-présidente, Kamala Harris ? Peut-être. Mais aussi, conclusion qu’il est le seul à pouvoir maintenir l’unité d’un parti démocrate déchiré entre une gauche woke et les centristes, en l’absence de toute personnalité susceptible de réunir les uns et les autres. Après tout, déjà en 2020, la direction du parti avait convaincu les modérés de se retirer des primaires pour barrer la route à la gauche représentée par Bernie Sanders et Elizabeth Warren, qui avaient le vent en poupe. Biden n’était déjà qu’un candidat par défaut. D’une certaine manière, il le reste aujourd’hui.
Le risque est que la candidature Biden ouvre un boulevard à un Trump qui, jusqu’ici, loin d’être handicapé par ses multiples affaires judiciaires, caracole en tête des sondages pour les primaires républicaines. À 76 ans, c’est une bête de scène, tout en violence et en énergie. Rien à voir avec l’image du grand-père charmant mais fatigué que renvoie le président. Or, Trump, bien que démagogue, vulgaire, ignare et amoral, n’en reste pas moins, aux yeux de beaucoup d’Américains peu sensibles à ces défauts, un président qui a bien géré l’économie. Dans une interview publique récente organisée par CNN, malgré la grossièreté de ses mensonges et de ses vantardises, il a été acclamé par l’assistance qui a retrouvé avec délectation l’homme qui fait un bras d’honneur aux élites. Dans ce contexte, les républicains, même les « modérés » (encore que cet adjectif ait de moins en moins de sens dans le climat de radicalisation que connaît le pays), tout en reconnaissant ses défauts, jugent souvent que, après tout, « il a fait le boulot » et plutôt bien. Ils sont donc prêts, de nouveau, à se boucher le nez et à voter pour lui. Si DeSantis, le gouverneur de Floride, se présente contre lui, sa tâche sera difficile.
Les premiers sondages sont d’ailleurs venus confirmer que l’âge de Joe Biden, loin d’être un sujet secondaire comme on l’espérait à la Maison-Blanche, s’affirme comme un problème central de la campagne. Les deux tiers des Américains le trouvent trop vieux. La même proportion de démocrates préférerait un autre candidat. Les partisans du président sortant découvrent avec stupéfaction que, selon les sondages les plus récents, celui-ci l’emporterait aujourd’hui dans le suffrage populaire alors qu’il avait perdu en 2016 de 3 millions de voix et, en 2020, de près de 7 millions. N’attachons pas d’importance excessive à ces chiffres à dix-huit mois des élections, mais ils prouvent en tout cas que le problème est sérieux.
Joe Biden a pourtant bien géré la crise économique. Le pays est de retour au plein-emploi même si l’inflation n’est pas jugulée et si la pression migratoire ne faiblit pas. Cela étant, l’administration actuelle n’en est pas responsable : c’est le soutien à l’économie pendant la crise du Covid qui a entraîné la hausse des prix et c’est la géographie qui condamne les États-Unis à subir une pression migratoire permanente sur sa frontière méridionale. Joe Biden peut, certes, l’emporter mais « le terrain est lourd », lourd à cause de l’âge du sortant et lourd à cause de l’inflation et de l’immigration. Les démocrates pensent peut-être trop facilement que Trump ne peut pas être réélu. La campagne sera dure et décisive.