Ce que l’Amérique pense vraiment de la guerre en Ukraine

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Je viens de passer plusieurs semaines aux États-Unis. En ce qui concerne la guerre en Ukraine, j’ai été frappé de la différence d’ambiance qui y règne par rapport à l’Europe.

Géographie oblige, le conflit y est beaucoup moins présent, que ce soit dans les médias ou dans les conversations de tous les jours. On éprouve de la sympathie pour les Ukrainiens, mais à aucun moment je n’y ai senti la passion que l’on ressent parfois de ce côté-ci de l’Atlantique. L’impression générale est que les États-Unis font ce qu’il faut, mais je n’ai jamais entendu un interlocuteur proposer d’aller plus loin dans cette voie. D’ailleurs, perce quelquefois un doute sur le fait que les intérêts des États-Unis y soient en jeu. Ce pays est vacciné pour un certain temps contre les aventures extérieures.

Par ailleurs, la volonté de défendre l’Ukraine dépend du parti auquel on adhère. La moitié des républicains accepteraient que l’Ukraine fasse des concessions territoriales pour mettre rapidement fin à la guerre, alors que 79 % des démocrates sont prêts à prolonger celle-ci pour éviter ce dénouement. La division est évidente lorsqu’on écoute les dirigeants de l’opposition. Ce n’est pas seulement Trump mais toute la garde montante de son parti qui manifeste son scepticisme sur la nécessité de soutenir l’Ukraine.

Seuls les républicains, « à l’ancienne », tiennent un autre discours, mais « les électeurs ne sont pas de leur côté », a affirmé un sénateur trumpiste, Hawley, du Missouri. Dans ce contexte, beaucoup pensent qu’il serait difficile de faire voter, en pleine année électorale, un nouveau paquet financier en faveur de l’Ukraine après l’épuisement des 50 milliards accordés, dont 40 ont déjà été dépensés. « C’est aux Européens de le faire », ai-je souvent entendu.

« Victoire totale » ?

Si on se tourne maintenant vers les experts, les journalistes et les membres de l’administration, j’avais déjà noté que le chef d’état-major de l’armée américaine avait déclaré à deux reprises qu’il ne pensait pas que les Ukrainiens pourraient recouvrer les territoires perdus cette année, mais j’ai été frappé de constater que la plupart de mes interlocuteurs m’ont dit ne pas croire à une « victoire totale » de l’Ukraine ni estimer d’ailleurs que ce devrait être l’objectif de la politique américaine. Les Russes se sont enterrés derrière plusieurs lignes fortifiées et pratiquent cette défensive pour laquelle ils ont toujours été doués. Ils ont tiré les leçons de leurs échecs et font payer cher à leur ennemi le moindre progrès.

Les Américains n’excluent pas qu’ici ou là, les Ukrainiens puissent réaliser des percées locales qui leur permettent d’avancer de plusieurs dizaines de kilomètres, mais ce ne serait, en aucun cas, décisif et le coût en hommes et en matériel en serait extrêmement lourd. Les mêmes combats reprendraient un peu plus loin. À leurs yeux, l’hypothèse la plus probable reste la poursuite de la guerre pour de longs mois, voire des années, avec son cortège de morts et de dévastations. Or, ils ne veulent pas d’un embourbement dans un conflit en Europe. Leur priorité n’est pas là, elle est en Asie. Elle a pour nom la Chine.

Dans ce contexte, ils apportent leur soutien à l’offensive en cours non comme une étape vers une victoire mais comme un moyen d’améliorer la situation de l’Ukraine dans la perspective d’une éventuelle négociation avec la Russie, puisque les termes refléteraient le rapport des forces sur le champ de bataille.

D’ailleurs, les Américains ont, certes, aidé massivement le pays agressé mais, on ne l’a pas assez souligné, ils l’ont fait avec retenue sur les types d’armes transférées malgré les demandes ukrainiennes et les pressions de certains Européens. Ils n’ont cédé que pas à pas comme on l’a encore récemment vu avec les F16. Mais c’est le récent sommet de l’Otan qui illustre le mieux cette détermination à ne pas se laisser entraîner dans une escalade. Ils n’ont pas hésité à s’opposer à toute automaticité de l’entrée de l’Ukraine dans l’organisation, quitte à refuser de suivre leurs alliés européens et à provoquer le mécontentement public de Zelensky. En effet, ils savent qu’elle aurait risqué de susciter l’intransigeance russe et de fermer la porte à toute négociation. Ils n’ont par ailleurs jamais pris explicitement position sur la Crimée.

C’est une évidence, vu des États-Unis, que Joe Biden veut se sortir de ce conflit le plus rapidement possible, autant par préoccupation stratégique de répondre au défi chinois que par souci d’éviter de mener une campagne électorale en temps de guerre. Ce n’est pas un hasard si des contacts officieux ont été récemment conduits avec la Russie par l’intermédiaire de personnalités dont nul ne peut croire qu’elles s’y soient aventurées sans l’aval intéressé de la Maison-Blanche. Comme nul, en Occident, n’imagine la poursuite de la guerre contre la volonté des États-Unis ou même sans eux, les Européens devraient peut-être sortir du registre des vœux pieux et en venir à une analyse réaliste de la situation et à la conclusion de la nécessité de tout faire pour ouvrir le plus rapidement possible une négociation. Négociation ne voulant en aucun cas dire capitulation…. Après tout, essayer ne coûterait rien.

LE POINT