CHRONIQUE. La campagne pour la présidentielle américaine va offrir au reste du monde un spectacle qui risque d’être aussi fascinant que consternant.
La démocratie est malade en Occident. Les symptômes en sont d’ailleurs étrangement comparables malgré des circonstances nationales inévitablement différentes. Le recul de la presse généraliste, la prolifération des théories du complot sur les réseaux sociaux, la montée des extrêmes, le désaveu de la classe politique traditionnelle, la mise en cause de l’État de droit se retrouvent ainsi partout dans cet espace euroatlantique qui fut le cœur de l’expérience démocratique.
Comme souvent, les États-Unis ont ouvert la voie et continuent de le faire avec ces excès qui fascinent les Européens tout en leur permettant à trop bon compte de conclure qu’ils ne sont pas autant atteints par la maladie. À cet égard, la campagne présidentielle qui s’annonce va les conforter dans ce préjugé. Nos amis américains vont nous offrir un spectacle qui risque d’être aussi fascinant que consternant. En tout cas, il nous tiendra probablement longtemps en haleine.
Qu’on en juge. En premier lieu, Joe Biden a échoué à calmer les nerfs des Américains qui étaient à vif après quatre années de Trump. Il a pourtant tout essayé. Son style de grand-père charmant n’y a rien fait. On l’accuse de corruption via un fils il est vrai incontrôlable ; on met en cause sa lucidité étant donné ses gaffes. Sa politique de grands travaux, de subventions à l’industrie et de protectionnisme pour répondre aux angoisses de la classe moyenne inférieure et de la classe ouvrière n’a pas désamorcé la révolte en leur sein. Il se trouve aujourd’hui dans la situation désespérante de pouvoir se targuer d’un bilan économique honorable alors qu’une bonne partie des électeurs n’en est ni consciente ni, encore moins, reconnaissante.
Au fond, quatre années de Biden, ce centriste impénitent, n’ont en rien calmé la crise politique américaine qui s’est au contraire approfondie. Le pays est plus polarisé que jamais. Deux Amérique qui ne se parlent plus se font face.
Les États-Unis vont donc connaître un autre cycle électoral dans un climat de ce qu’on peut appeler une « guerre civile virtuelle ». On peut parfois se demander si elle le restera. Après tout, les deux tiers des républicains sont convaincus qu’on leur a volé l’élection de novembre 2020. Ils ont montré leur colère le 6 janvier 2021 en occupant le Congrès. Qu’arrivera-t-il s’ils perdent de nouveau celle de 2024, d’autant qu’ils abordent le scrutin avec un mélange de ressentiment, de colère et de méfiance ? Ressentiment pour 2020, colère surtout de voir leur grand homme victime de ce qu’ils considèrent comme un harcèlement judiciaire pour l’empêcher une fois de plus de l’emporter ; méfiance enfin à l’égard d’institutions qu’ils jugent au service d’élites abhorrées, ce qui est sans précédent dans un pays où la Constitution est traditionnellement révérée.
Trump continue de canaliser cette révolte, l’entretient et l’amplifie. Il s’est radicalisé depuis son échec de 2020. Il est plus violent et moins respectueux des procédures démocratiques que jamais : non seulement, il continue de crier à la tricherie mais il endosse désormais les émeutiers du 6 janvier et promet de les gracier en cas de victoire. Les procès dont on l’accable et qui lui confèrent une aura de martyr contraignent paradoxalement les autres candidats républicains à le soutenir pour ne pas s’aliéner ses électeurs.
Dans ce contexte, que sera la campagne électorale ? D’un côté, le président sortant dont une majorité de démocrates préféreraient qu’il se retire tant il montre son âge. Un vieux monsieur qui titube souvent et qui est sujet à de courtes absences, dont il est difficile d’imaginer qu’il galvanisera les foules. David Ignatius, un journaliste très connu aux États-Unis, une figure respectée de l’establishment démocrate, a même écrit un récent éditorial dans le Washington Post pour l’appeler à se retirer. De l’autre, probablement Trump dont, là aussi, une majorité de ses électeurs potentiels ne veulent pas, une bête de scène sans scrupule qui n’est que mensonge, brutalité et ignorance. Avec, pour compliquer le scénario, tout au long de la campagne, des ennuis judiciaires qui le contraindront à se rendre aux convocations des juges avec le risque d’une condamnation avant le mois de novembre.
Comment vont réagir les électeurs ? Se joindront-ils à ses inconditionnels pour crier à la politisation de la justice comme le fait déjà une bonne partie de l’appareil du parti républicain ou considéreront-ils que, dans ces conditions, il ne peut diriger leur pays ? Qu’arrivera-t-il s’il est en prison avant novembre 2024, ce qui n’est pas probable mais pas exclu ? Il ira jusqu’au bout. Un narcissique pathologique ne renonce jamais. Même si par extraordinaire, il devait perdre les primaires de son parti, il est probable qu’il se présenterait en candidat indépendant et serait suivi par un nombre substantiel de ses partisans.
En tout cas aujourd’hui, rien n’est joué. Tous les sondages donnent les deux candidats au coude-à-coude. Dans ce climat toxique où la vérité n’a pas d’importance et où tous les coups sont permis, je crains que Trump n’ait toutes ses chances. Il ne reculera devant aucun mensonge et il portera tous les coups, même les plus bas, contre un honnête homme qui n’a pas su se retirer à temps et préparer sa succession.
LE POINT