Les démocrates espéraient que leur candidate parvienne à tenir tête à Donald Trump, mieux placé dans les sondages. Mission accomplie.
Plusieurs de mes interlocuteurs américains avaient estimé que le débat entre Donald Trump et Kamala Harris, qui a eu lieu hier soir, pouvait être décisif. En effet, même les démocrates admettaient que la campagne de la seconde marquait le pas et que son adversaire était en meilleure position qu’en 2016 ou 2020 à la même époque.
Le sursaut en sa faveur qui avait suivi son entrée en lice et le succès de la Convention démocrate de Chicago étaient restés sans lendemain et n’avaient pas créé de dynamique en sa faveur. Les sondages donnaient donc Trump et Harris au coude-à-coude, ce qui était insuffisant pour permettre une victoire de la vice-présidente, étant donné le biais qu’introduit le collège électoral au profit des républicains.
Plus grave, on voyait réapparaître les doutes sur une candidate démocrate qui évitait soigneusement les conférences de presse et les interviews après une performance assez pitoyable devant les journalistes pourtant complaisants de CNN. Enfin, subsistait la question lancinante : « qui est Kamala Harris ? » dans la mesure, où, d’un côté, sa personnalité reste encore mal connue, voire inconnue pour une partie de l’électorat et où, de l’autre, son programme déploie un flou artistique qui dissimule mal les contradictions internes de son parti. En d’autres termes, me disait-on, si elle perdait le débat, elle risquait de perdre par la même occasion l’élection en confirmant doutes et questions.
Le choc de deux personnalités
Il est, ce matin, indéniable qu’elle a passé l’obstacle avec succès. Même en faisant la part de la partialité d’une presse américaine qui lui est majoritairement favorable, on peut constater que la conclusion qu’elle l’a nettement emporté ne suscite que peu de contradicteurs. D’ailleurs, c’est l’avis des deux tiers des spectateurs selon un sondage réalisé à l’issue de l’affrontement télévisé. Même Fox News, la chaîne de droite qui soutient activement le candidat républicain, faisait grise mine.
Cela étant, Kamala Harris a confirmé la faiblesse que représente la nécessité qui est la sienne de maintenir une coalition derrière elle qui va de conservateurs bon teint, comme l’ancien vice-président de George W. Bush, Dick Cheney, à la gauche propalestinienne. Ses réponses vagues et décevantes à des questions précises sur des sujets délicats comme l’immigration ou l’économie auraient mérité des relances des journalistes. Par ailleurs, alors que le pays demande du changement, elle doit se distinguer de Joe Biden, ce qui lui est évidemment difficile. Autant le dire, sur le fond, elle n’a pas été très bonne.
Mais, une élection présidentielle américaine, c’est avant tout le choc de deux personnalités. Les Américains ne votent pas pour un programme, mais pour un homme ou une femme. De ce point de vue, Kamala Harris l’a emporté haut la main. Elle était à l’offensive tout au long de la soirée. Les spectateurs n’ont pu que conclure que c’était une femme forte qui ne s’en laissait pas conter. En effet, non seulement, elle a résisté à un Donald Trump qui est une bête de scène, fort de décennies de télévision, un « alpha male » qui a l’habitude d’imposer brutalement son ascendant, mais elle l’a mis sur la défensive et l’a piégé en le conduisant à révéler ses pires défauts.
Sa tactique était simple et évidente : elle consistait à jouer de la susceptibilité maladive de son adversaire pour le faire sortir de ses gonds. Elle l’a donc ridiculisé en se moquant ostensiblement de lui. Du coup, il est apparu comme un vieil homme bougon qui, pour se défendre, montait sur ses grands chevaux habituels en alignant les contrevérités sur les élections de 2020, sur le succès de ses meetings, voire sur les animaux domestiques que mangeraient des immigrés, ce qui a obligé un journaliste à démentir cette information qui circule sur les réseaux sociaux conservateurs. Elle l’a mené où elle voulait l’entraîner, être un candidat incohérent, prêt à reprendre toutes les théories du complot.
La campagne est donc relancée, mais rien n’est joué. Trump conserve toutes ses chances ; Harris a sauvé les siennes. Les deux candidatures présentent, l’une et l’autre, trop de faiblesses pour ne pas permettre à chaque camp de prendre ou de reprendre l’initiative. Nul doute que les républicains vont attaquer Kamala Harris sur ses ambiguïtés que le débat n’a pas dissipées.
Par ailleurs, n’exagérons pas l’impact de l’échec de Trump aux yeux d’un électorat qui lui est remarquablement fidèle. Ce sont les modérés qui font l’élection. Concluons que, ce matin, ils sont probablement plus disposés à voter pour Kamala Harris qu’ils ne l’étaient hier soir. C’est bien ; ce n’est pas assez. Il faut encore qu’elle transforme l’essai. Le scrutin sera probablement serré.