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Libérons Israël et la Palestine de la religion et de l’Histoire !

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LA CHRONIQUE DE GÉRARD ARAUD. Les arguments historiques et religieux avancés par Israël et la Palestine ne permettront pas de trouver une solution au conflit. La solution est ailleurs.

Le président de la République, Emmanuel Macron, vient de susciter une nouvelle polémique avec Israël et ses soutiens en déclarant que ce pays avait été créé par les Nations unies. Ayant moi-même traité de ce dossier pendant des décennies, j’ai d’abord été surpris de ces réactions à ce qui me paraissait un fait. La Résolution 181 d’Assemblée générale des Nations unies du 29 novembre 1947 consacre, en effet, le partage du mandat de Palestine en « un État arabe et un État juif ». La déclaration d’indépendance d’Israël, publiée le 15 mai 1948, se réfère d’ailleurs à ce texte. Jamais, jusqu’ici, je n’avais fait face à une remise en cause de cette évidence : l’histoire officielle d’Israël ne le fait pas, les historiens, quelle que soit leur orientation, non plus.

Au fond, cette controverse ne vaut pas tellement par son sujet que par la manipulation de l’Histoire et de la religion qu’elle a entraînée. Tout y est passé d’Abraham à un prétendu « sionisme millénaire » alors que tout dictionnaire, y compris israélien, nous apprend que le sionisme date des années 1880. Un simple exemple parmi beaucoup d’autres pour nous rappeler que l’instrumentalisation de l’Histoire et de la religion par les deux parties est, à ce point, centrale dans le conflit qu’elle en vient à en cacher la réalité prosaïque, le partage d’une terre entre deux peuples.

Toute guerre voit les deux adversaires mobiliser tout un appareil idéologique pour justifier leurs prétentions concurrentes. Or, en Palestine, deux peuples se disputent la même terre et, donc, chacun refuse que l’autre y détienne une quelconque légitimité. Dans ce contexte, tous les arguments sont bons pour construire deux récits qui s’excluent mutuellement, deux histoires antagonistes de la même terre. Tout y passe dans un fatras où se mêlent mythes et faits avérés pour fonder de supposés « droits historiques ».

Un seul objectif : nier l’autre dans son essence
Dans une région où se sont succédé tous les grands empires méditerranéens de l’Assyrie à la Grande-Bretagne, en passant par Alexandre le Grand, César et Saladin, chacun trouve aisément l’ancêtre supposé ou l’événement révélateur qui constituerait l’antécédent justifiant un droit supérieur à celui de l’autre, d’un côté d’Abraham à Auschwitz et, de l’autre, de Mahomet à la Nakba. L’objectif réel n’est pas d’expliquer ou de décrire mais de nier l’autre dans son essence même.

On voit donc les archéologues israéliens s’arrêter de creuser lorsqu’ils font une découverte liée aux royaumes hébreux dans une région qui est si riche de traces des empires qui y ont prospéré. De son côté, la Syrie a fait détruire au bulldozer un site qui, sur son territoire, indiquait une antique présence hébraïque. Le résultat, ce sont deux impasses, des Israéliens qui nient encore maintenant l’existence d’un peuple palestinien et une Autorité palestinienne qui l’imite en ce qui concerne le lien entre le peuple juif et Jérusalem.

Dans ce contexte, les propos du président de la République, inattaquables sur le fond, je le répète, n’ont été lus qu’à la lumière de ce débat sans fin sur la légitimité des deux parties. Rappeler le rôle central de la résolution 181 dans la création de l’État d’Israël n’était-ce pas nier les droits du peuple juif sur la Terre sainte, oublier le sacrifice de ses soldats et faire de l’État juif le fruit d’une décision arbitraire qui, en tant que telle, pourrait être annulée ? La paranoïa est un élément constitutif du conflit…

Le silence, cette vertu diplomatique
Qu’en conclure ? D’abord, une fois de plus, que le silence est une vertu diplomatique souvent négligée par nos dirigeants… Ensuite, mon conseil est simple, voire hardiment simpliste : ignorons hardiment religion et histoire ou plutôt ne prêtons aucune attention à la lecture que nous en donnent Israéliens et Palestiniens. Rien de plus paradoxal, me direz-vous, que de vouloir résoudre le conflit israélo-palestinien en mettant de côté religion et Histoire alors que la région peut se targuer d’avoir sans doute été le berceau de l’urbanisation et de l’agriculture et que les deux ennemis se réclament de leur foi pour justifier leurs droits concurrents. On parle ici en millénaires au carrefour de trois monothéismes.

Mais s’engager dans les labyrinthes qu’ont élaborés les deux parties pour justifier leur cause, dans lesquels j’ai trop souvent été entraîné au cours des décennies où j’ai traité de ce dossier, n’est qu’une perte de temps. En effet, il ne s’agit pas de trancher si l’entreprise sioniste était justifiée ou si les Palestiniens ont eu tort de s’y opposer ; il ne s’agit même pas de savoir qui est responsable de l’impasse actuelle ; il s’agit encore moins d’opérer un classement des souffrances ; il ne s’agit surtout pas de faire appel à Yahvé ou à Allah. Ce ne sont que des arguments de séance d’un procès qui n’est pas le sujet.

Il faut se demander plus simplement comment organiser la coexistence pacifique de 7 millions de Juifs et de 8 millions de Palestiniens « entre la mer et le fleuve ». Les uns et les autres y sont chez eux ; aucun n’a de droit supérieur ou inférieur à l’autre. Il faut regarder vers l’avenir dans une région accablée d’Histoire et laisser parler la raison dans une région où on invoque trop facilement Dieu.

LE POINT