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Les Européens hors-jeu en Ukraine

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Les Européens accusent Trump d’abandonner l’Ukraine à son sort et découvrent qu’ils n’ont pas les moyens de prendre la relève des États-Unis pour soutenir ce pays. N’était-ce pas prévisible ? Peut-on et doit-on leur faire remarquer ? Trump avait clairement fait connaître son intention de se dégager de ce conflit et son premier mandat aurait dû nous prévenir de sa méthode, que ce soit avec les talibans, où il avait tout lâché, ou avec la Corée du Nord, où il s’était lassé et avait abandonné le terrain.

En réalité, les Européens étaient dans le plus profond déni malgré les avertissements qui se multipliaient. Déni sur la volonté des États-Unis, quel que soit le président élu en novembre, de mettre un terme à un engagement qui ne correspond pas à leurs intérêts fondamentaux mais à la nécessité de pallier l’incapacité européenne de défendre son propre continent ; déni surtout de l’incapacité des Ukrainiens à l’emporter, quel que soit leur courage et si importante soit l’aide matérielle et financière qu’on puisse leur apporter, étant donné la disproportion des forces en présence, qu’elles soient démographiques, industrielles ou financières.

Conséquence de ce double déni, une politique européenne qui supposait deux conditions : l’une, que les Américains continuent d’aider l’Ukraine puisque notre continent a été incapable même de mobiliser son industrie de défense et l’autre, que les Ukrainiens tiennent face à la pression russe. Or, la première condition n’est désormais plus remplie et la seconde pourrait ne plus l’être lorsque les stocks d’armes et de munitions américaines seront épuisés.

La politique du chien crevé
La brutalité de Trump met en évidence que les Européens, pendant ces trois années de guerre, n’ont mené qu’une politique du chien crevé au fil de l’eau, malgré les coups de menton virils qui accompagnaient les nombreux sommets qui se sont succédé depuis février 2022. Ils n’avaient aucune vision de la fin du conflit autre qu’une victoire totale de l’Ukraine que chacun savait impossible. Ils se contentaient donc de temps en temps de rajouter les milliards d’euros nécessaires à la résistance et à la survie de l’Ukraine, ce qui était louable, mais n’ouvrait d’autre perspective que la poursuite des combats.

Rétrospectivement, il est quand même ahurissant que la diplomatie n’ait jamais pu prendre le dessus par rapport à un maximalisme qui ne menait nulle part. Dès 2023, après l’échec de la contre-offensive ukrainienne, le chef d’état-major de l’armée américaine affirmait publiquement que Kiev ne pourrait pas récupérer les territoires perdus. Difficile de le soupçonner de pacifisme ou de poutinolâtrie…

Pourquoi ne pas en avoir tiré la leçon et avoir tenté… précisément ce que Trump tente aujourd’hui ? Une paix – armistice ou cessez-le-feu – qui acte l’occupation russe sans la sanctionner juridiquement et garantisse la sécurité de l’Ukraine encore libre ? Pourquoi France et Allemagne, qui étaient alors sur une ligne proche, n’ont pas approché la Russie sur cette base ? Il est vrai que l’engagement américain leur permettait de ne pas regarder la réalité en face, ce qui n’est plus possible aujourd’hui.

Des intérêts divergents au sein de l’UE
Les explications sont multiples et révèlent les limites de l’intégration européenne. En effet, les intérêts des pays membres de l’UE sont à ce point différents que l’exigence de solidarité peut se révéler paralysante pour la diplomatie de notre pays. Il est compréhensible que, du fait de leur histoire et de leur géographie, les pays de l’Europe orientale et de Scandinavie voient dans la Russie une menace existentielle et dans la résistance victorieuse de l’Ukraine une clé de leur propre sécurité. Par ailleurs, ils bénéficient de la force que leur confèrent le droit international et l’indignation des opinions publiques après les atrocités commises par les Russes. « On ne négocie pas avec Hitler », disait le Premier ministre polonais et beaucoup lui faisaient écho sur les plateaux de télévision. Rappelez-vous la manière dont Emmanuel Macron avait été voué aux gémonies lorsqu’il avait dit « qu’il ne fallait pas humilier la Russie ». En d’autres termes, évoquer une négociation avec la Russie qui impliquait inévitablement des concessions à l’agresseur risquait de susciter une crise grave au sein de l’UE. Aucun pays ne s’y est risqué.

Nous avons donc laissé l’initiative aux États-Unis et à la Russie. Il serait paradoxal de s’en plaindre alors que c’est la conséquence inévitable d’une position de principe fort honorable mais coupée des réalités. En relations internationales, les principes ne tiennent jamais face à la réalité.

Au-delà même des blocages inhérents au fonctionnement de l’UE, les Européens ont été victimes des illusions du monde fondé sur le droit et la coopération qui est le leur mais qu’en dehors d’eux, désormais plus personne ne partage. Leur rappeler que c’est le champ de bataille qui décide de l’issue d’une guerre et non le droit, que l’agresseur peut l’emporter et qu’une mauvaise paix est mieux qu’une bonne guerre n’est simplement plus audible sur notre continent. Pourtant, c’est le monde qui vient. Nous avons refusé de le voir en Ukraine ; ne le ratons pas ailleurs. Car il y aura des « ailleurs »…

LE POINT