CHRONIQUE. La Conférence des ambassadeurs est l’occasion de faire le point sur ces représentants de la France, souvent incompris ou mal aimés.
Chaque année se tient la Conférence des ambassadeurs, qui réunit à Paris tous les représentants de la France à l’étranger. En 2024, l’organisation des Jeux olympiques l’a retardée de la fin août au début du mois de janvier. Elle s’est donc tenue cette semaine. C’est l’occasion pour nos ambassadeurs de participer à des tables rondes avec les experts des crises du moment et d’entendre leurs instructions des bouches du président de la République, du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères.
En un mot, une « grand-messe » avec son cortège de conversations de couloir entre des ambassadeurs qui, géographiquement éloignés des centres du pouvoir, sont toujours en quête des informations et des explications que Paris leur fournit rarement. Il serait hypocrite d’oublier le plaisir de retrouvailles amicales avec des collègues parfois en poste aux antipodes du vôtre. On échange, on plaisante et on potine….
Ah, l’ambassadeur ! Que ce mot éveille de fantasmes entre le luxe supposé de son existence aux frais de la République, son formalisme moqué et son cynisme supposé ! Sans remarquer la contradiction, on en fait soit une survivance coûteuse et inutile, soit l’inspirateur maléfique d’une politique désastreuse. D’ailleurs, le président de la République ne cache pas qu’il ne les aime pas beaucoup : ils ne seraient que la partie émergée d’un « État profond » qui s’opposerait à ses initiatives. D’ailleurs, leur prudence et leur attention aux susceptibilités et aux traditions n’ont rien à faire dans la « start-up nation »… Débarrassons-nous donc du corps diplomatique afin de renouveler leur recrutement.
La compétence présente des avantages…
En réalité, derrière le mot d’ambassadeur ne se cachent aujourd’hui ni caste ni milieu social particulier, comme je peux en témoigner personnellement. D’abord, rappelons que le président de la République n’est en rien obligé de faire appel à des diplomates de carrière pour les postes d’ambassadeur. Les exemples d’autres choix n’ont d’ailleurs jamais manqué. Le fait qu’ils ont été rares s’explique peut-être par le fait que même le président actuel a été conduit à comprendre qu’après tout la compétence présente des avantages… La plupart des ambassadeurs sont donc aujourd’hui des diplomates de carrière, en rien socialement ou politiquement différents des autres hauts fonctionnaires. Oublions les publicités pour chocolats…
À quoi sert un ambassadeur ? Voilà une question que se pose… chaque ambassadeur. En effet, on ne peut pas être diplomate de la même manière à Téhéran ou à Pékin, à Helsinki ou à Bujumbura. Liberté de parole, accès aux informations, usage des médias sociaux, sujets de préoccupations, rôle de la France y sont évidemment différents. Les priorités de l’ambassadeur mais aussi son style le seront donc tout autant. Il doit être formaliste à Moscou et décontracté à Washington. Rien de plus humain et de plus idiosyncrasique que la diplomatie.
On peut être bon ambassadeur de dix manières différentes. Mais il s’agit non seulement de savoir comment s’exprimer dans une société donnée mais aussi d’atteindre le plus d’interlocuteurs possible alors que la politique étrangère ne se réduit plus aux milieux feutrés des chancelleries. Comment recourir aux médias sociaux alors qu’on n’y existe que si on crée un « buzz », c’est-à-dire l’inverse de la diplomatie traditionnelle tout en discrétion ? Je m’y suis essayé, non sans cahots…
Un ambassadeur ne « fait » pas la politique étrangère
Or cet ambassadeur qui explique la France dans son poste et son pays d’affectation à Paris, cet émissaire mi-VRP, mi-publicitaire, ne dispose que de moyens dérisoires pour sa mission. Sa résidence, héritage de l’histoire – souvent mal entretenue, d’ailleurs –, n’est qu’un cache-misère qui n’impressionne que les Français de passage et les mondains du cru. Force est de reconnaître que le Quai d’Orsay n’a pas pris le virage qu’exige la révolution technologique, même pour défendre la confidentialité de la correspondance diplomatique, parce qu’on ne lui en a pas donné les moyens.
Enfin, cet ambassadeur ne « fait » pas la politique étrangère. Il met en œuvre les décisions prises par le pouvoir politique comme il est logique dans un État de droit et une démocratie. Il est évidemment commode de prendre à partie un fonctionnaire en le rendant responsable de ce qu’on n’aime pas. J’ai été ainsi accusé tour à tour d’être un agent sioniste et néoconservateur sans que mes détracteurs s’interrogent sur le fait que j’ai été nommé à des postes de responsabilité par des présidents aussi différents que Chirac, Sarkozy et Hollande sur proposition de ministres comme Villepin, Kouchner et Fabius.
Nul n’imaginant que je les manipulais, la conclusion pourrait en être qu’ils considéraient que j’appliquais loyalement et efficacement la politique qui était la leur et non forcément la mienne. Ce que faisaient également et font toujours tous mes collègues dans leurs postes respectifs.
Difficile, parfois ingrat étant donné les silences de Paris et le manque de moyens, quelquefois dangereux, le métier d’ambassadeur n’en reste pas moins le plus beau du monde. Il allie la recherche de la paix à l’ouverture au monde et à l’honneur du service de la patrie. Je serai donc toujours reconnaissant à ma « Maison », le Quai d’Orsay, de m’avoir permis d’y accéder aux plus hautes fonctions malgré mon anticonformisme et mon indépendance d’esprit.