Le modèle économique allemand atteint ses limites. Une mauvaise nouvelle pour l’Europe… et donc pour la France.
Par sa puissance économique et son poids démographique, la République fédérale d’Allemagne est le pilier de l’Union européenne (UE), où elle exerce une influence déterminante depuis la crise de 2008, qui a durablement affaibli son partenaire français, et le départ du Royaume-Uni. Elle a, en particulier, réussi à y imposer une discipline fondée sur l’austérité budgétaire, à l’image de ce qu’elle décidait pour elle-même, que ce soit d’abord dans le cadre des réformes du marché du travail du chancelier Schröder ou par une réforme constitutionnelle, qui a consacré une limitation stricte de son déficit budgétaire.
Les conséquences en furent, à l’intérieur, un effondrement de l’investissement public, devenu le plus faible de l’UE en proportion du PIB, ainsi qu’une aggravation de la pauvreté et des inégalités et, en Europe, un effet récessif prolongé.
L’Allemagne, pour sa part, a échappé aux pires effets de cette stagnation décennale auto-infligée grâce à des exportations dont le surplus atteignit un moment plus de 6 % de son PIB, ce qui était d’ailleurs autant en violation des règles de l’euro que dû au déficit budgétaire des autres États membres européens. Elle était alors le troisième exportateur mondial, loin devant le Japon et très loin devant la France, le Royaume-Uni et l’Italie. Il est vrai que cette accumulation de surplus correspondait à un besoin particulier d’un pays vieillissant à la démographie depuis longtemps déficitaire qui devait donc se préparer à faire face aux financements croissants de ses régimes de retraite à l’avenir.
La crise politique de l’Allemagne
Or rien ne va plus. En premier lieu, l’Allemagne est victime de la même crise politique que les autres démocraties occidentales. Les grands partis qui structuraient sa vie politique subissent la concurrence des populistes de gauche et de droite. Le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) est le plus touché. Les derniers sondages ne lui donnent plus que 16 % alors qu’à l’extrême droite l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), aux relents néonazis, prospère, en particulier dans les Länder de l’Est, où elle atteint 30 %. À l’extrême gauche, un nouveau mouvement, le BSW (Bund Sahra Wagenknecht, en allemand, ou Alliance Sahra Wagenknecht, en français) mêle radicalité économique et xénophobie antimigrants. De son côté, le Parti libéral allemand (FDP), autrefois proeuropéen, a pris un virage thatchérien et souverainiste et les Verts stagnent à 10 %.
L’Union chrétienne-démocrate (CDU), à laquelle les sondages donnent aujourd’hui 30 %, peut espérer être appelée à former le prochain gouvernement, mais les négociations visant à constituer une coalition risquent d’être longues et de conduire à des compromis qui rendent illusoire tout espoir de décisions fortes. Des décisions fortes dont l’Allemagne a besoin.
Entrée en récession, alors que sa production industrielle est aujourd’hui inférieure de 17 % à ce qu’elle était il y a quatre ans, elle peut craindre que son modèle économique et social ne soit brisé. En effet, les bases de celui-ci sont ébranlées : des choix énergétiques absurdes pèsent sur les coûts de production d’une industrie qui, de surcroît, en est restée à ses points forts traditionnels, notamment les machines-outils et l’automobile de luxe, et qui a raté les derniers virages technologiques que ce soit l’Internet, la microélectronique ou la téléphonie.
Son industrie automobile n’a pas anticipé que la valeur ajoutée y glisse de la motorisation, domaine dans lequel elle excelle, vers le logiciel et les batteries. Enfin, la Chine est devenue un concurrent dans tous les domaines. Elle s’apprête aujourd’hui à submerger le marché mondial des véhicules électriques.
Mauvaise nouvelle pour l’Europe
L’Allemagne – austéritaire, atlantiste, pacifiste et libre-échangiste – se retrouve donc dans l’impasse. Certes, elle a mis de l’eau dans son vin. Elle a accepté que la Commission européenne contrôle les investissements étrangers dans les domaines stratégiques et combatte le dumping ; Friedrich Merz, le candidat de la CDU à la chancellerie, laisse entendre qu’il favorisera un assouplissement du « frein budgétaire » mais cela suffira-t-il ? On peut en douter.
En premier lieu, l’austérité budgétaire est devenue un élément quasiment identitaire de l’Allemagne fédérale. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe veille à ce que le gouvernement ne la contourne pas en usant d’artifices comptables. Dans ce contexte, Merz risque de ne pas pouvoir faire grand-chose. Jusque-là, à chaque crise, l’Allemagne a accepté de faire le pari d’une solution européenne. Elle pourrait, cette fois, se concentrer sur ses problèmes propres et, forte de ses marges de manœuvre budgétaires, tenter de les régler de manière strictement nationale sans accepter que l’UE n’aille plus loin dans la création d’une dette commune.
Elle a d’ailleurs accueilli le rapport Draghi sur la compétitivité européenne de manière sèchement négative. Enfin, comme ailleurs, la question de l’immigration pousse également au repli sur la forteresse nationale. Le pays a activé la clause de vigilance des accords de Schengen pour rétablir un contrôle aux frontières. Une Allemagne économiquement en crise, tentée par le repli sur elle-même, voilà des mauvaises nouvelles pour l’Europe, et donc pour la France.