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L’Europe hors jeu : Trump et Poutine négocient l’avenir de l’Ukraine sans nous

Les Européens tombent des nues en constatant que Trump et Poutine négocient entre eux l’avenir de l’Ukraine et d’une partie du continent. Qu’attendons-nous pour nous réveiller ?

Le plus étonnant dans les annonces récentes de Donald Trump sur l’Ukraine, c’est… l’étonnement des Européens. Depuis des mois, non seulement nous savions qu’élu, il entrerait rapidement en contact avec Poutine pour mettre fin à la guerre, mais nous connaissions plus ou moins les termes sur la base desquels il entreprendrait cette démarche. Le surprenant n’est donc pas là, mais dans l’impréparation des Européens, qui donnent l’impression de tomber des nues. Certes, Emmanuel Macron avait intelligemment organisé une rencontre entre Trump et Zelensky en marge de l’inauguration de Notre-Dame, mais on attend encore une position commune de l’UE sur une négociation qui concerne au premier chef notre continent.

Pourtant, tout était clair : Trump entendait passer par-dessus la tête de l’Ukraine et des alliés européens pour aboutir à un accord dont il demanderait ensuite à ceux-ci d’assumer la responsabilité financière et militaire. Qu’avons-nous fait pour avoir notre mot à dire, pour poser nos conditions ou, à défaut, pour nous y préparer ? Rien.

Comme le lapin dans les phares de la voiture, nous avons attendu l’inévitable, que nous abordons dans les pires conditions. L’Allemagne est aux abonnés absents pour plusieurs mois et la France ne vaut pas beaucoup mieux. Je comprends aujourd’hui les années 1930, lorsque des dirigeants intelligents et patriotes ont pu aller au désastre les yeux ouverts sans faire ce qu’ils savaient nécessaire au fond d’eux-mêmes. Les circonstances sont certes moins tragiques, mais ce lâche renoncement de nos pays présage mal de leur avenir dans le monde de fer qui vient.

Avec Trump ou avec Kamala Harris, je l’avais écrit dans mes chroniques, les États-Unis voulaient s’extraire d’un conflit qui n’était pas leur priorité et où ils ne s’étaient engagés que du fait de l’incapacité des Européens d’apporter un soutien militaire à la victime d’une agression russe dont ils ne pouvaient accepter un éventuel succès. D’ailleurs, ils étaient toujours restés discrets sur les questions territoriales contrairement aux déclarations va-t-en-guerre de certains Européens et ils s’étaient opposés à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan.

La vraie différence entre les deux candidats portait sur la méthode. Je ne parle pas du rôle reconnu ou pas à l’Ukraine dans la négociation. Le sort de l’allié sud-vietnamien en 1975 témoigne que les Américains savent oublier le premier concerné lorsqu’ils veulent se dégager d’un conflit. Harris aurait tordu le bras de Zelensky si nécessaire, comme le fera son vainqueur.

La vitesse de Trump
C’est la tactique de négociation de Trump qui peut soulever des inquiétudes. Qu’il dévoile d’emblée les points principaux de la position américaine peut encore se justifier dans la mesure où elle correspond, d’une part, à la situation sur le champ de bataille et, d’autre part, aux lignes rouges russes. Ç’aurait été du temps perdu, par exemple, de se battre sur l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan, dont on sait depuis longtemps qu’elle est inacceptable par Moscou. Or, Trump veut aller vite. C’est même là le problème essentiel.

En effet, d’expérience, je peux prédire que la Russie conduira la négociation à sa manière, c’est-à-dire, après avoir empoché les concessions américaines, ligne par ligne en ne cédant pas sur le moindre détail. Une guerre de tranchées épuisante et interminable. L’inverse d’un Trump qui, lui, veut clamer au plus vite sa victoire sur Fox News. Face aux talibans, il avait tout cédé. Face à la Corée du Nord, il s’était rapidement découragé. Ces deux scénarios nous menacent : dans le premier, il concéderait la vassalisation de fait de l’Ukraine ; dans le second, il se retirerait d’un conflit où il laisserait Poutine poursuivre son avance.

Le gendarme américain a rejoint les brigands
Revenons aux Européens. Ils doivent maintenant être éveillés et comprendre ce qui les menace. Du moins, on l’espère. Pourquoi Français, Britanniques, Polonais et quelques autres ne se réunissent-ils pas de toute urgence pour définir une position et prendre les dispositions qui s’imposent ? Que feront-ils si la négociation échoue et si les États-Unis renoncent à soutenir l’Ukraine ? Et si elle réussit et si on leur demande de fournir une force sur le territoire de ce pays ? À ce dernier égard, ne doit-on pas d’emblée refuser de participer à une classique opération de maintien de la paix où, comme le précédent en Bosnie le prouve, nos soldats seraient vulnérables et rapidement incapables de remplir leur mission ? Si c’est une force de combat, quels devraient être sa taille, son mandat et sa mission ? Les questions – il y en a beaucoup d’autres – sont multiples, concrètes et graves. Attendrons-nous passivement que le parrain américain nous dicte notre rôle, dont il aura défini avec la Russie la forme et le fond ? Je le crains.

Or, ce qui se passe aujourd’hui à Washington dépasse de loin la guerre en Ukraine. La réhabilitation spectaculaire de Poutine n’est rien moins que l’affirmation de relations internationales dont le seul fondement est le rapport de force le plus nu et le plus brutal. Le gendarme américain a rejoint les brigands. Le rêve européen d’une société fondée sur le droit international et le compromis s’évanouit. C’est la jungle. À nous de prendre la mesure de la gravité du moment pour y survivre.