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Avec le retrait américain, la nécessité d’« européaniser » l’Otan

CHRONIQUE. Confrontée à un environnement international inédit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France doit réinventer sa politique étrangère.

Au moment où les certitudes qui ont fondé notre vision du monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale s’évanouissent les unes après les autres, où la guerre est de retour sur notre continent et où l’allié américain devient hésitant, voire hostile, nous devons nous interroger sur ce que peut et doit devenir la politique étrangère de la France. Une politique étrangère, ce n’est pas une doctrine, ce ne sont pas des dogmes mais la prise en compte pragmatique de l’environnement international.

Depuis la fondation de la Ve République, les présidents de la République successifs ont inscrit leur action internationale dans quatre directions où seul l’accent plus ou moins mis sur l’une plutôt que sur d’autres les a distingués : la fidélité à nos alliances, l’entreprise européenne, l’indépendance nationale et la préservation d’une voix singulière de la France.

Peser dans les affaires du monde
La fidélité à nos alliances, ce fut, dans les faits, l’appartenance à la communauté des nations occidentales. Le général de Gaulle lui-même l’a manifestée au plus haut point lors des crises les plus graves de la guerre froide, que ce soit à Berlin en 1961 ou à Cuba en 1962.

Le retrait de la structure militaire de l’Otan fut d’ailleurs un geste plus politique que militaire puisque nos armées continuaient d’être étroitement insérées dans le dispositif de l’Alliance. La fin de la guerre froide signifiait d’ailleurs que cette singularité n’avait plus lieu d’être, ce qui conduisit Jacques Chirac, dès 1995, à envisager d’y mettre fin, ce que Nicolas Sarkozy réalisa finalement en 2009. Allié solide, la France déploie aujourd’hui des forces en Roumanie et en Estonie.

L’entreprise européenne a conduit le général de Gaulle à mettre en œuvre le traité de Rome qui venait juste d’être signé. Ses successeurs n’ont cessé ensuite de voir dans la CEE puis dans l’Union européenne (UE) non seulement un multiplicateur de puissance mais la seule manière de peser dans les affaires du monde face aux autres grandes puissances.

La France, le plus souvent avec l’Allemagne, a été plus ou moins à l’origine de la plupart des initiatives majeures qui ont élargi les compétences de Bruxelles ou qui ont permis à l’Europe de faire face aux crises qu’elle a dû affronter – récemment de la crise économique de 2008 à celle du Covid pour finir par l’invasion russe de l’Ukraine.

Un gendarme parfois brutal et maladroit
L’échec de l’expédition de Suez en 1956, du fait du lâchage américain, fut probablement le moment où la Grande-Bretagne et la France durent comprendre qu’elles n’étaient plus des grandes puissances. Elles en tirèrent des enseignements opposés. La première choisissant de devenir le « brillant second » des États-Unis et la seconde affirmant, au contraire, son indépendance par le développement d’une force nucléaire autonome et le choix d’une voie européenne. Tous les présidents s’en sont tenus à cette ligne qu’a illustrée l’opposition à l’invasion de l’Irak en 2003. Alliés des États-Unis mais pas alignés, tel fut et reste notre mantra.

Enfin, voix singulière, la France est hostile à toute tentative de constitution d’un bloc occidental enfermé dans ses certitudes, sa bonne conscience et son égoïsme. Elle considère qu’elle peut et doit contribuer à la paix en maintenant un dialogue le plus large possible avec le reste du monde.

Qu’en est-il aujourd’hui ? En sciences, un axiome est « une vérité admise sans raisonnement à la base d’un raisonnement, d’une théorie déductive ». D’une certaine manière, la politique étrangère que je viens de décrire posait en axiome le rôle des États-Unis comme garantie ultime de l’ordre international et donc de la sécurité de l’Europe.

Les Français maugréaient mais n’en bénéficiaient pas moins des services de ce gendarme parfois brutal et maladroit qui les mettait à l’abri du pire. Jamais, en quarante années de carrière diplomatique, je n’ai eu la guerre comme horizon possible d’une négociation.

Graves carences des appareils de défense européens
Avec Donald Trump, cet axiome n’en est plus un. Nul ne peut assurer que, sous sa présidence, les États-Unis viendraient au secours des Européens si, demain, la Russie se livrait à une agression contre les États baltes, nos alliés de l’Otan et nos partenaires de l’UE, ou si la Turquie en faisait de même contre la Grèce.

Ce doit être là le point de départ de notre réflexion, car il n’y a pas d’entreprise européenne, pas d’indépendance nationale et pas de voix singulière, objectifs tous respectables et conformes au génie et aux intérêts de notre pays, si la sécurité du pays n’est pas d’abord assurée.

Aujourd’hui, elle ne l’est plus, sauf à faire de la dissuasion nucléaire une ligne Maginot qui serait contournée comme la précédente. Non seulement les États-Unis quittent l’Europe mais la guerre en Ukraine met en relief la menace que représente la Russie pour notre continent et les graves carences des appareils de défense européens pour y faire face.

C’est là la priorité qui s’impose à nous : elle ne peut se réduire à un nécessaire effort national et doit trouver un prolongement dans une alliance aux côtés de nos partenaires européens. À cet égard, en 1995, Jacques Chirac avait indiqué une voie réaliste en prônant l’européanisation de l’Otan. À nous de tirer profit du retrait américain pour y revenir.

LE POINT