CHRONIQUE. Cessez-le-feu, armistice, statut militaire de l’Ukraine, interlocuteurs… Sauf victoire totale de la Russie, la fin de la guerre – qui arrivera forcément – imposera une négociation.
Toute guerre se termine par une négociation. Il n’y a aucune raison que celle entre l’Ukraine et la Russie y fasse exception, sauf victoire totale d’un belligérant, qui ne peut être que le second. Il faudra négocier, et le plus tôt sera le mieux. Non seulement la poursuite des combats entraîne son cortège de souffrances et de dévastation mais, en l’absence de toute perspective de victoire ukrainienne, elle fait courir le risque à terme d’un effondrement ou d’un fléchissement du défenseur qui, quel que soit son courage, est soumis aux offensives répétées d’un ennemi indifférent aux pertes et aux ressources financières et démographiques bien supérieures.
C’est ce qu’a compris Donald Trump, qui procède à sa manière, de façon incohérente et brutale. C’est ce que refusent d’accepter des Européens, qui se contentent de répéter que l’objectif doit être la libération de tous les territoires occupés, ce qu’ils savent impossible dans les circonstances actuelles. Comme, par ailleurs, ils ne sont pas prêts à payer le prix pour la rendre possible par une mobilisation de leur économie et un engagement militaire, ils en restent à des incantations irréalistes qui ne contribuent en rien à sortir l’Ukraine de la situation difficile dans laquelle elle est plongée, et qui les marginalisent dans le rôle du chœur de la tragédie, chargé de rappeler de vains principes.
Pour aboutir à la paix, convaincre qu’on est prêt à la guerre
Examinons donc la forme qu’une négociation pourrait prendre si les Européens sortaient de leur paralysie. La première exigence pour que s’engage une négociation, c’est que Poutine s’y prête. Il ne le fera que s’il pense que la poursuite des hostilités non seulement serait trop coûteuse mais qu’elle ne lui permettrait pas d’atteindre son objectif réel, la vassalisation de l’Ukraine.
Pour le conduire à cette conclusion, les Européens doivent donc manifester leur détermination à soutenir celle-ci aussi longtemps et autant que nécessaire. Intensification des sanctions et mobilisation de l’industrie de défense sont indispensables, en particulier si les États-Unis se désintéressent du conflit. Il faut faire comprendre à la Russie que ces Européens qu’on méprise ostensiblement à Moscou ne céderont pas comme on l’y espère. Il ne s’agit donc pas de tenir de nouvelles réunions de chefs d’État et de gouvernement mais de prendre des décisions concrètes. Comme souvent en de telles circonstances, la meilleure manière d’aboutir à la paix, c’est de convaincre l’adversaire qu’on est prêt à faire la guerre aussi longtemps que nécessaire.
Cela étant, si une négociation s’engage réellement, elle ne peut pas mener à un traité de paix puisqu’il exigerait soit que l’Ukraine évacue des provinces que son ennemie n’a pas réussi à occuper, soit que la Russie renonce à des territoires qu’elle a officiellement annexés, hypothèses politiquement inenvisageables des deux côtés. Dans ce contexte, parallèlement à la poursuite des pourparlers en ce sens, ce serait un accord sur un cessez-le-feu ou un armistice qui serait l’enjeu réel de la négociation. Non seulement il mettrait fin aux combats mais il permettrait aux deux parties d’être en mesure d’affirmer qu’elles n’ont rien concédé de leurs droits sur les territoires disputés.
Schéma diplomatique des négociations
Le cessez-le-feu serait établi sur la base de la ligne de front au moment de l’accord moyennant la création d’une mission de supervision conduite par les Nations unies. Sa composition et son mandat pourraient s’inspirer de celle qui remplit ce rôle à la limite entre les deux Corées depuis 1953.
La question délicate porterait sur le statut militaire de l’Ukraine. Il faudrait trouver une solution pour, d’une part, éviter qu’un désarmement de l’Ukraine n’ouvre la voie à sa vassalisation et, d’autre part, tenir compte du refus russe de son adhésion à l’Otan. L’Ukraine devrait conserver toute liberté d’améliorer ses capacités militaires : il s’agit non seulement de la préparer à résister à une reprise des hostilités mais de marquer l’intégrité de son indépendance.
En revanche, l’alliance pourrait agréer une déclaration unilatérale par laquelle elle affirme que, tant que le respect du cessez-le-feu est constaté par l’ONU, elle et ses États membres n’ont l’intention ni de modifier les relations de l’Ukraine avec celle-ci ni d’y déployer de contingent. Il serait par ailleurs inévitable que l’Union européenne lève une partie des sanctions imposées à la Russie tout en en réservant certaines dans l’attente d’un traité de paix.
La négociation serait conduite directement entre les deux belligérants. Du côté européen, la personnalité va-t-en-guerre de sa haute représentante pour les affaires extérieures ne permet pas d’espérer que la Russie accepte de la considérer comme une interlocutrice. La création d’un groupe de contacts, réunissant France, Royaume-Uni, Allemagne, Pologne, Italie et Turquie, contournerait cet obstacle et pourrait se justifier par la nécessité de la présence d’un Britannique et d’un Turc. Il assurerait, en particulier, la liaison entre le processus bilatéral et le rôle de l’UE et de l’Otan.
Le diable étant dans le détail en diplomatie encore plus que dans la vie courante, il ne s’agit là que d’un schéma grossier qui ignore mille difficultés et subtilités. Mais les diplomates sont formés pour les résoudre…
