CHRONIQUE. En frappant l’Iran, Israël démontre une fois de plus qu’il est la puissance hégémonique du Moyen-Orient. À quelles fins?
Israël vient, une fois de plus, de prouver sa capacité à monter des opérations spectaculaires par leur ampleur et par leur succès. On frôle le roman d’espionnage tant on y déploie de l’audace et de la créativité pour surprendre l’ennemi. Hier, des centaines de bipeurs explosaient au Liban, blessant ou tuant des combattants du Hezbollah ; aujourd’hui, à des milliers de kilomètres de Jérusalem, agents et missiles guidés ont décimé l’état-major iranien et éliminé les chefs de son programme nucléaire, tandis que l’aviation israélienne, maîtresse du ciel, frappait des sites stratégiques. Une conclusion s’impose : Israël dispose d’une supériorité militaire absolue qui en fait la puissance hégémonique du Moyen-Orient.
Une hégémonie pour quel objectif ? C’est là que le bât blesse parce qu’il est impossible de deviner, derrière ces exploits, une vision d’un nouvel équilibre régional. À Gaza, la population ne cesse de manifester son désir de se débarrasser du Hamas ; de leur côté, les nouveaux gouvernements libanais et syrien clament haut et fort leur volonté de se consacrer à leur reconstruction et non à une confrontation avec leur voisin. Or, imperturbable, Israël n’en continue pas moins à les bombarder, voire, dans le cas de la Syrie, à occuper une partie de son territoire et à y susciter des troubles intérieurs. Il donne ainsi l’impression de ne rien savoir faire d’autre que la guerre et d’être incapable de transformer ses succès militaires en une nouvelle réalité stratégique alors que, par ses opérations, il a créé des opportunités politiques chez les Palestiniens, à Beyrouth ou à Damas encore inconcevables hier. Il détruit, mais il ne construit rien.
C’est dans ce contexte qu’il faut analyser les récentes attaques contre l’Iran. Trump avait entamé des négociations avec l’Iran pour encadrer son programme nucléaire. Dans ce contexte, pourquoi mener ces opérations militaires massives à ce moment précis ? Quelle en était l’urgence alors que la coordinatrice du renseignement américain déclarait récemment devant une commission du Sénat que l’Iran n’était pas engagé dans la fabrication d’une arme nucléaire ? Il est difficile de ne pas y voir non seulement la course en avant militaire d’un Premier ministre en quête de survie politique, mais aussi la volonté de mettre un terme aux efforts diplomatiques d’une administration dont on craint, à Jérusalem, l’amateurisme et la faiblesse.
Trump change de ton
Trump a été averti de l’opération, mais il n’est pas avéré qu’Israël lui ait demandé de l’approuver. D’ailleurs, dans un premier temps, la communication américaine a exhibé l’embarras le plus évident en insistant sur le fait que les États-Unis ne s’y associaient pas. Le premier communiqué du secrétaire d’État américain, Marco Rubio, peut se résumer en une phrase : « Nous n’y sommes pour rien. » Donald Trump, qui n’est pas un belliciste et qui avait résisté à toutes les instances israéliennes lui enjoignant d’attaquer l’Iran au point de limoger son conseiller à la sécurité nationale, qui s’en faisait l’écho complaisant, n’a sans doute pas apprécié qu’Israël se passe de son approbation, mais c’est un pragmatique. Le vin était tiré, il fallait le boire. Son ton a changé, et on l’a vu soudain non pas approuver publiquement l’entreprise israélienne, mais essayer de l’utiliser à ses propres fins comme un levier pour pousser l’Iran à accepter les propositions américaines. Trump ne fait pas dans la dentelle, on le sait, et son message était donc brutal : « Cédez ou Israël va vous faire encore plus mal. » D’aucuns diront que tout était une manœuvre coordonnée entre les deux alliés. L’hostilité profonde de Trump au recours à la force et l’éloignement qu’il a récemment manifesté à l’égard d’Israël en négociant avec les houthis, le Hamas et l’Iran en font douter. Il fait contre mauvaise fortune bon cœur. De son côté, Netanyahou, qui a annoncé que les opérations israéliennes se poursuivraient, appelle au changement de régime à Téhéran. Apparemment, les exemples irakien et libyen n’ont pas suffi : voilà qu’on souhaite le même sort pour un pays de 80 millions d’habitants sans opposition structurée identifiable…
Les monarchies du Golfe font mine de protester contre les opérations israéliennes mais il est facile de deviner l’ambiguïté de leurs sentiments, d’un côté, la satisfaction de l’affaiblissement de l’Iran, principale menace à leur sécurité, et, de l’autre, l’inquiétude de la déstabilisation régionale à laquelle peuvent mener les aventures israéliennes.
Et l’Iran que peut-il faire ? Il procède à des tirs de missiles sur Israël pour ne pas perdre totalement la face. Par ailleurs, il devrait lui être difficile de ne pas répondre à cette longue séquence ininterrompue de défaites et d’humiliations par une décision de tout faire pour acquérir l’arme nucléaire le plus rapidement possible. Après tout, peut-on arguer à Téhéran, l’Iran a négocié à deux reprises l’encadrement de son programme nucléaire, en 2015 où il a signé un accord qu’il a respecté et maintenant avec la nouvelle administration américaine. À chaque fois, on lui a claqué la porte sur les doigts, en 2018 lorsque les États-Unis ont violé leurs engagements et imposé des sanctions punitives et maintenant avec les opérations israéliennes à la veille d’une session de négociations. À quoi bon persister ?
Observateur privilégié de la marche du Monde, Gérard Araud est un homme de médias
Il est fréquemment interviewé en tant qu’expert des affaires étrangères par CNN, la BBC … En France, il est chroniqueur au Point, rubrique « International ». Il intervient également sur France Inter où tous les jours, il apportait son éclairage sur les élections américaines dans sa chronique « Good morning America ! ». On peut l’entendre régulièrement sur France Culture, France Info, …
En 2019, il publie chez Grasset « Passeport Diplomatique » où il décrit les arcanes de la diplomatie française aux Etats-Unis au ttravers de passionnants portraits d’Obama, de Trump, … qu’il a cotoyés.
