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Gérard Araud – L’insolente santé de l’internationale populiste

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CHRONIQUE. Le triomphe de Viktor Orban en Hongrie est un rappel pour toutes les démocraties libérales : la vague populiste n’a pas reflué.

 

Victor Orban vient de remporter pour la quatrième fois les élections législatives en Hongrie.

Certes, les médias y sont contrôlés par l’État et n’ont quasiment pas couvert la campagne de l’opposition ; certes, la loi électorale est inique, mais il n’en reste pas moins que la forte majorité – 56 % – qui s’est portée sur les candidats du parti du Premier ministre prouve que celui-ci continue de bénéficier de la confiance des Hongrois.

Orban a été aussitôt félicité par l’Italien Salvini. Il est devenu le héros de tous ceux qui prônent une politique populiste conservatrice et nationaliste. Il a, en effet, démontré qu’une politique qui soit, dans la forme, agressive, autoritaire et manichéenne, et sur le fond, hostile à l’Union européenne à l’extérieur et aux minorités, immigrés ou LGBT, à l’intérieur payait.

N’imaginons pas que la Hongrie soit un cas unique qui ne porte aucun enseignement pour le reste de l’Europe. Lorsqu’on parle de politique intérieure, chaque pays se juge différent des autres. D’ailleurs, les commentateurs qui explorent les moindres rebondissements de la vie des dirigeants et des partis politiques ne se réfèrent quasiment jamais aux exemples étrangers. Pourtant, aujourd’hui, toutes les démocraties occidentales, à l’exception peut-être de l’Allemagne vaccinée par son Histoire, traversent la même crise qui se manifeste de manière étonnamment semblable lorsqu’on s’abstrait des inévitables spécificités nationales. Partout, un nombre substantiel des citoyens se révolte contre le système politique qui jusqu’ici vivait au rythme des alternances entre centre gauche et centre droit, où on pouvait voir l’harmonie d’une démocratie libérale apaisée. Le temps des grands débats semblait du passé ; il s’agissait de gérer au mieux des pays prospères en paix avec eux-mêmes.

Certes, Pologne et Hongrie s’éloignaient de ce modèle, mais on l’expliquait par l’absence de tradition démocratique et le traumatisme du communisme ; l’Italie zigzaguait mais la vie politique y était depuis une trentaine d’années passablement chaotique.

Brexit et Gilets jaunes

Le vote du Brexit en juin 2016 puis l’élection de Trump en novembre de la même année ont soudain révélé que ces pays, loin d’être des accidents, annonçaient une nouvelle ère dans la vie politique des démocraties occidentales. Le succès des partis dits populistes en Espagne, aux Pays-Bas et ailleurs même s’il ne les a pas menés au pouvoir l’a confirmé. En France, alors que l’élection d’un centriste, Emmanuel Macron, paraissait prouver que notre pays choisissait une autre voie, le mouvement des Gilets jaunes a constitué un avertissement spectaculaire pour démontrer que tout était loin d’être réglé. Aux États-Unis, malgré la victoire de Joe Biden, la protestation populiste que porte le Parti républicain, loin d’être découragée, devrait permettre à celui-ci de récupérer la majorité dans une ou deux chambres en novembre 2022.

Le fait est donc là : la révolte populiste est plus vivante que jamais. Captée par l’extrême droite beaucoup plus que par l’extrême gauche, elle surfe sur l’hostilité qu’éprouvent un nombre croissant de nos concitoyens envers des élites accusées de ne plus les représenter par leurs valeurs et leur mode de vie et de ne plus prendre en compte leurs intérêts. Pour citer un Gilet jaune : « vous vous préoccupez de la fin du monde et moi de la fin du mois ». C’est l’héritage de l’ère néolibérale qui a enrichi « les pauvres des pays pauvres et les riches des pays riches ». La crise de la classe moyenne inférieure et de la classe ouvrière a miné la confiance dans un système politique qui ne remplit plus sa fonction de base, offrir à chacun un espoir d’amélioration de sa condition. La révolte a suivi ; les partis traditionnels ont été incapables d’y répondre ; les autres, qui tenaient un discours si différent que jusqu’ici ils n’avaient pas été pris au sérieux, ont soudain émergé non parce qu’on croit en eux, mais parce qu’on espère qu’ils renverseront la table et feront la nique aux élites si méprisantes et si lointaines.
Ces élites, je l’ai bien vu quand j’étais en poste à Washington, commettent l’erreur d’étaler leur mépris à l’égard du candidat populiste accusé, souvent à juste titre, de mensonge, d’incompétence et d’autoritarisme. Ils font de la morale et pas de la politique. Ils ne comprennent pas que leur virulence renforce la conviction des électeurs qu’ils ont fait le bon choix puisque leurs ennemis manifestent une telle colère. N’oublions pas, outre les succès réitérés d’Orban, le triomphe électoral de Boris Johnson et la conviction de beaucoup que Trump aurait été réélu, en 2020, sans la crise du Covid et qu’il peut parfaitement l’être en 2024 ou, à défaut un substitut qui adopterait son langage. Le populisme est là pour rester tant que les partis politiques traditionnels ne retrouveront pas le chemin des classes populaires. La seule manière d’apaiser leur colère, c’est de leur rendre l’espoir ; la seule manière de les éloigner des prophètes de malheur, c’est de les écouter et de leur répondre, quitte à bousculer les vaches sacrées des quarante dernières années, qui nous ont menés là.

LE POINT

Si vous souhaitez organiser une conférence avec  Gérard Araud, contactez Jean-Michel Dardour  au 06 88 09 09 79.