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Gérard Araud, ne nous trompons pas de guerre

Le président de la République a récemment prononcé un discours à Toulon sur l’environnement stratégique de la France et sur les orientations qu’il en tirait face aux menaces croissantes qui pèsent sur notre sécurité. Plus que la guerre en Ukraine, c’est le retour de la rivalité entre grandes et moyennes puissances qui nous impose de redoubler de vigilance stratégique. Les décisions qui seront prises engageront le pays pour les décennies qui viennent du fait de la durée des programmes d’armement ; elles correspondront inévitablement à des arbitrages difficiles entre différentes options étant donné un contexte budgétaire toujours contraint. Le sujet est trop important pour être tranché en quelques paragraphes, mais je voudrais poser quelques questions à cet égard qui, j’en suis sûr, susciteront des réactions indignées… Que le lecteur veuille bien m’en excuser, mais je vais « mettre les pieds dans le plat ». Délibérément. Mieux vaut une bonne controverse que le silence.

On nous dit que nous devons nous préparer à une guerre de haute intensité. Or, s’il y a un enseignement du conflit actuel, c’est que la Russie – qui est incapable de vaincre l’Ukraine – ne peut nous menacer, d’autant que notre géographie nous met d’elle-même à l’abri. Nous pouvons, certes, conclure du conflit actuel des pistes de réforme comme préparer un plan de mobilisation de notre industrie pour répondre aux besoins de nos armées en cas de guerre ; faire un effort dans le domaine de certains types d’armement comme les drones ; être capables de projeter une brigade pour remplir nos obligations aux côtés de nos alliés. Cependant, je ne vois pas de scénario crédible qui nous imposerait de défendre seuls notre territoire contre un envahisseur. Renforcer notre armée de terre, oui ; en faire notre priorité, j’en doute. Ne tombons pas dans le piège habituel, celui de se préparer à la dernière guerre, celle en cours en Ukraine, et pas à la prochaine.

Fermer nos bases en Afrique

La France est le pays occidental qui dispose le plus de bases militaires en Afrique, de Dakar à N’Djamena sans oublier Djibouti. Contre qui et pour défendre quel intérêt de la France ? En réalité, il s’agit bel et bien d’instruments d’intervention dans les affaires africaines, alors que le rejet dont nous sommes l’objet actuellement dans le Sahel prouve que le temps des interventions à l’indubitable parfum colonial est révolu. Les jeunes générations africaines n’en veulent plus. Du Rwanda au Mali, le bilan n’en est d’ailleurs pas brillant, ce qui n’est en rien critiquer le courage de nos soldats. Fermer ces bases, ce serait enfin signifier la fin d’une Françafrique dont chaque président nous annonce le décès sans se rendre compte que cette répétition rituelle n’a plus aucune crédibilité sur le continent. Ce serait, par ailleurs, participer à la mutation de nos armées d’une capacité expéditionnaire à la préparation d’un conflit de haute intensité.

Contrairement à la Grande-Bretagne, la France conserve deux composantes pour sa force de dissuasion nucléaire : une fondée sur les sous-marins lanceurs d’engin, et l’autre, sur des missiles air-sol emportés par avion. Pourquoi ne pas se contenter de la première ? Serait-ce vraiment affaiblir la crédibilité de notre dissuasion ? Deux c’est mieux qu’un, me répondra le bon sens, mais quid des capacités conventionnelles que nous sacrifions pour la financer ? La dissuasion nucléaire, c’est 13 % du budget français de la défense et 6 % du britannique, ce qui permet à nos voisins des efforts dans d’autres domaines.

Marine, cyber…

S’il est un besoin qui devrait faire l’unanimité, c’est le renforcement de notre marine. D’abord en Méditerranée face à la montée en puissance de la Turquie et à la multiplication des menaces que représentent les trafics de toutes sortes ; ensuite pour la lutte contre la piraterie et pour notre présence dans le golfe et dans l’indopacifique ; enfin, pour assurer notre souveraineté dans notre immense zone économique exclusive. Encore ne faudrait-il pas que le coût d’un, voire de deux, porte-avions obère ce budget au point que nous réduisions encore plus le nombre de nos navires. Gouverner, c’est choisir…

Enfin, plus qu’une hypothétique invasion de notre territoire, ce sont les guerres dans le cyberespace et dans l’espace qui menacent l’existence même d’une communauté nationale qui en dépend de plus en plus. C’est là que devrait être l’absolue priorité de nos armées en équipement et en personnel de haut niveau, l’un et l’autre très coûteux. Et il faut se préparer au défi du quantique et de l’Intelligence artificielle. Nous avons peut-être encore plus besoin d’informaticiens et d’ingénieurs que de bataillons….

Assurer la sécurité de notre territoire dans l’environnement stratégique nouveau qui se dessine à nos portes suppose de répondre à beaucoup d’autres questions que celles que je pose. Or, aujourd’hui, pour faire bref et un peu provocateur, chaque armée profite des circonstances pour essayer d’obtenir une rallonge budgétaire en sa faveur avant que le président de la République ne tranche souverainement. L’opinion publique, le Parlement, les experts risquent de ne pas avoir leur mot à dire alors que c’est l’avenir du pays qui est en jeu. Ces décisions mériteraient donc de faire l’objet d’un examen et d’une discussion en place publique pour échapper aux conformismes et aux corporatismes qui essaieront et essaient déjà de les dicter. Le colonel de Gaulle ne me contredirait pas.