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Nous étions seuls, de Gérard Araud: impossible paix

LA CHRONIQUE D’ÉTIENNE DE MONTETY – Rigoureux, accumulant faits, chiffres et dates, le livre d’Araud frappe par son ton.

L’essai de Gérard Araud s’ouvre sur une dédicace aux morts français de mai et juin 1940, ces 100.000 soldats vite engloutis dans l’infamie de la défaite et les affres de l’Occupation qui s’ensuivit.

C’est pour justifier leur courage vain que l’ancien ambassadeur de France à Washington entreprend de retracer l’histoire diplomatique de la France entre les deux guerres. Le titre du livre, Nous étions seuls, montre assez son propos: sitôt actée la défaite de l’Allemagne et signé le traité de Versailles reviennent les égoïsmes nationaux favorisant les intérêts économiques des uns (Angleterre et États-Unis) et ménageant l’orgueil blessé des autres (Allemagne) ; nos alliés anglo-saxons faisant montre de complaisance vis-à-vis du vaincu.

Face à cette situation, les dirigeants français, dont le pays a payé un lourd tribut, semblent bien seuls. Ainsi passent les années: le traité de Versailles, les réparations, Locarno, la Rhénanie, l’Espagne… L’Europe unie face à la revanche allemande qui se trame est une illusion. Dans ce chaudron frémissant, les hommes de la IIIe République, normaliens ou avocats, tous brillants, charmants, peinent à défendre les intérêts de leur pays, confrontés aux roués ou aux obstinés d’en face.

Rigoureux, accumulant faits, chiffres et dates, le livre d’Araud frappe par son ton. On est loin du style poli prêté à son corps, monsieur l’ambassadeur écrit clair et franc. Il vaut notamment par ses portraits, au fusain, et les mots qu’il cite. Se pencher sur l’entre-deux-guerres, c’est croiser Keynes et ses Conséquences économiques de la paix. L’économiste et mathématicien, proche du groupe littéraire de Bloomsbury, juge sévèrement le traité et accable Clemenceau d’une phrase: «L’âme sèche et vide d’espérances, très vieux et très fatigué mais contemplant le spectacle d’un air cynique et presque malicieux.» Plus loin, c’est Berthelot, Briand et Léger, le délicat Saint-John Perse, qui conçoit ainsi la diplomatie: «Il y a autant de volupté à dominer un homme qu’à posséder une femme.» Et comment mieux résumer la défiance du Foreign Office vis-à-vis de Paris qu’en citant ce trait: «Je n’irai pas chasser le tigre avec un Français», déclaré sans rire par un diplomate anglais?

Les mérites du traité de Versailles

La culture «maison» d’Araud le conduit à jeter un éclairage particulier sur cette histoire: les diplomates ne font pas tout, mais on ne peut pas comprendre ce temps sans prendre en compte leur rôle. Ils forment avec les dirigeants un attelage pas toujours harmonieux: «Souvent les hommes politiques croient que la politique étrangère, ce sont des rencontres cordiales où on échange des amabilités» : est-ce là l’historien qui parle ou celui qui représenta la France en Israël et aux États-Unis?

Défendant les mérites du traité de Versailles, l’auteur s’élève en faux contre la thèse de l’Allemagne humiliée, pourfend les fourberies américaines ou britanniques, et, à la fin de l’envoi, saluant l’esprit de Bainville, il conclut par quelques éléments de réflexion: «Il n’y a pas de politique étrangère sans un horizon de recours à la force. Le rapport entre les deux est paradoxal: en venir au second prouve que la première a échoué mais celle-ci ne peut espérer réussir que si l’interlocuteur est convaincu que celui-là n’est pas exclu.» Leçon forgée il y a cent ans, et qui traverse le siècle…

 

LE FIGARO Par