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Faut-il prendre les menaces nucléaires de Poutine au sérieux?

CHRONIQUE. Après avoir tiré un missile d’un nouveau type, le maître du Kremlin agite la menace nucléaire. Coup de bluff ?

Le tir récent d’un missile balistique russe contre l’Ukraine semble marquer une nouvelle étape de l’escalade dans la confrontation entre, d’un côté, la Russie, et de l’autre, l’Ukraine et ses alliés occidentaux, et dont Poutine essaie de faire porter la responsabilité à ces derniers. En réalité, c’est bien le lancement de « l’opération militaire spéciale » qui en est l’origine. Elle devait être un coup de main qui, en quelques jours, aurait installé un régime pro-russe à Kiev. La résistance héroïque du peuple ukrainien a déjoué ce plan et a contraint l’agresseur à y renoncer et à passer à une offensive militaire de grande ampleur.

La Russie s’est alors engagée dans une guerre totale avec son cortège d’atrocités et le bombardement des infrastructures civiles ukrainiennes. Que le responsable d’une agression d’une telle brutalité accuse les soutiens de la victime d’escalade ne manque pas de culot. De surcroît, c’est lui qui a introduit les Nord-Coréens dans le conflit : que les Ukrainiens puissent utiliser les missiles occidentaux de moyenne portée sur des cibles militaires en Russie n’est que répliquer à ce qui est effectivement une indubitable escalade.


Poutine tire parti des erreurs des Occidentaux
D’une certaine manière, ce sont les pays occidentaux qui ont offert le bâton pour se faire battre. En effet, alors qu’ils étaient en droit d’apporter un soutien sans restriction à l’Ukraine, sur la base de l’article 51 de la charte des Nations unies, ils en ont d’eux-mêmes limité les modalités en s’interdisant certains types d’armes pour revenir ensuite sur ces décisions. Tour à tour, ils ont refusé puis accepté de livrer à l’Ukraine chars, avions, missiles, et ont ainsi créé l’impression d’une escalade de leur fait en définissant les marches d’un escalier qui n’avait juridiquement pas lieu d’être.
La menace d’une Troisième Guerre mondiale
Qu’en déduire ? Dans l’immédiat, l’intérêt de Poutine est d’attendre l’arrivée à la Maison-Blanche de Trump, dont il sait qu’il voudra engager des négociations par-dessus la tête des Ukrainiens et des Européens et dont il peut espérer qu’il lui fasse des concessions aussi substantielles qu’il en a faites aux talibans et à Kim Jong-un. Le tweet du fils aîné du président élu, qui a vu dans la décision de Joe Biden d’autoriser les tirs de missiles américains sur le territoire russe une menace de Troisième Guerre mondiale, ne peut que l’y encourager. Il lui fallait donc marquer le coup après les tirs de missiles par les Ukrainiens pour confirmer les craintes de ceux qui, comme Trump ou le chancelier allemand Scholz, prennent ses menaces au sérieux.
Gageons que, dans les semaines qui viennent, Moscou multipliera les avertissements plus ou moins apocalyptiques dans la perspective de la négociation espérée et de celle des élections allemandes. C’est à la veille d’un tel moment que l’on doit apparaître le plus intransigeant, le plus fort et le plus déterminé. 
Cela étant, si les négociations devaient échouer, devrions-nous écarter toute hypothèse d’une escalade qui pourrait déboucher sur le recours à l’arme nucléaire ? En d’autres termes, Poutine ne fait-il que bluffer ? Je crains que nous ne puissions prendre ce pari. En effet, la guerre en Ukraine revêt une importance existentielle pour son régime. Il ne peut se permettre de la perdre.
Par ailleurs, il a déjà prouvé une disposition à prendre des risques que d’autres considéreraient comme excessifs, de la Syrie à l’Ukraine en passant par la Géorgie. En d’autres termes, il dispose de ce que les stratèges américains appellent une « escalation dominance », une disposition crédible à frapper toujours plus fort que son ennemi, quel qu’en soit le niveau parce qu’il attache plus d’importance que celui-ci à ne pas perdre. Ils en déduisent de manière logique qu’il ne faut donc pas s’engager dans une escalade face à un tel adversaire. C’est sans doute cette analyse qui a conduit les États-Unis à rester relativement prudents dans les types d’armes qu’ils ont livrés à l’Ukraine. 

Dans ce contexte, même si dans l’immédiat les Russes se préparent à négocier avec un interlocuteur dont ils attendent beaucoup et n’ont donc aucun intérêt au pire, nous ne devrions pas sous-estimer le risque de la situation si Trump ne parvenait pas à mettre un terme au conflit en 24 heures comme il l’a promis et s’il abandonnait les Européens à eux-mêmes. Poutine irait alors aussi loin que nécessaire pour apparaître comme vainqueur face à des ennemis de la détermination desquels il peut légitimement douter.

LE POINT

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