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Gérard Araud – La fin de l’empire américain, vraiment ?

CHRONIQUE. À entendre les républicains, les États-Unis seraient en train de s’effondrer sous le poids d’une immigration incontrôlée et de l’inflation. Qu’en est-il ?

Après quelques semaines passées aux États-Unis, je constate, une fois de plus, à quel point la vie politique est comparable des deux côtés de l’Atlantique. À écouter les commentaires sur les réseaux sociaux et Fox News, on a l’impression d’assister au déclin de l’empire américain qu’on nous annonce d’ailleurs depuis des décennies. C’est plus qu’exagéré.

L’économie, d’abord. Parmi les grandes puissances, les États-Unis sont le pays qui a connu la reprise la plus rapide après la crise du Covid. Le taux de chômage correspond aujourd’hui au plein-emploi. En ce qui concerne l’inflation, qui est le talon d’Achille de la plupart des économies occidentales, elle n’a cessé de se ralentir au cours des dix mois précédents sans qu’à la surprise générale, la hausse rapide sans précédent des taux de la Banque centrale ne suscite de récession. Les conjoncturistes parient sur le retour à une situation normale à la fin de l’année avec une hausse des prix de 4,5 % en 2023 et de 2,3 % en 2024. Le déficit budgétaire qui a explosé sous Trump pendant la pandémie, jusqu’à atteindre 16,5 % du PIB, est déjà retombé en 2022, à 5,5 % en rythme annuel, et devrait continuer dans cette voie. Tout ne va pas très bien, mais aucune raison là de prévoir de crise systémique. Une étude récente qui a examiné les 2 000 plus importantes entreprises au monde a conclu que les américaines étaient les premières dans 74 % des domaines et les chinoises, dans 11 %…

Intéressons-nous maintenant à la substance de cette croissance. Au moment où se sont accélérés les progrès du recours à l’Intelligence artificielle, peu ont noté que c’est encore aux États-Unis que s’affirme cette percée majeure. Ce sont Google, OpenAI et Microsoft qui mènent la danse. Dans ce domaine, parmi les quinze institutions qui publient le plus d’articles scientifiques dans le monde, treize sont américaines et une chinoise. Les articles écrits par des Américains sont d’ailleurs repris et cités par d’autres, soixante-dix fois plus que ceux d’origine chinoise. L’histoire de l’intelligence artificielle s’écrit comme celle de l’Internet avant elle en américain. C’est donc toujours des États-Unis que nous vient la principale impulsion de la révolution technologique que nous vivons et qui décidera de l’avenir de l’humanité.

Innovation technologique et puissance des entreprises s’appuient sur un système financier incomparable qui continue de dominer le monde. Seule Wall Street peut fournir à l’économie mondiale la compétence, la versatilité et les capitaux dont elle a besoin. Toutes les annonces récurrentes sur l’apparition de devises concurrentes du dollar n’ont débouché sur rien et ne déboucheront sur pas grand-chose, pour la simple raison que c’est la seule monnaie qui est abondante et acceptée par tous les acteurs. Si vous disposez d’une balance en devises chinoise ou indienne, vous ne pouvez toujours l’utiliser que dans les pays qui l’émettent à la différence du dollar. Paradoxalement, les déficits américains engendrent les flux dont le reste du monde a besoin.

Par ailleurs, les États-Unis restent le refuge ultime des capitaux en temps de crise. C’est le seul marché assez vaste et stable qui puisse attirer les investisseurs lorsque tout va mal ailleurs. Avouons que ça ne va particulièrement bien ailleurs aujourd’hui… Les entreprises européennes sont en train d’en tirer leurs propres conclusions. Un avocat américain me disait que son cabinet est inondé de demandes de conseils pour des investissements européens de ce côté-ci de l’Atlantique.

750 bases dans le monde

En outre, les États-Unis peuvent s’appuyer sur l’héritage de soixante-dix ans d’hégémonie. Ils sont liés par des traités d’alliance avec plus de cinquante pays alors que la Chine n’est partie qu’à un seul, avec la Corée du Nord…. Ils disposent dans le monde de 750 bases qu’ils gèrent directement ou dans lesquelles ils disposent d’un accès garanti. Enfin, rappelons que leur budget de la défense atteint 3,5 fois celui de la Chine alors que, par ailleurs, on pourrait lui ajouter ceux de deux solides alliés, le Japon et l’Australie, sans compter ceux de l’Inde et de la Corée du Sud en cas de guerre générale en Asie.

Enfin, alors que Chinois et Russes, comme les Européens et les Japonais, d’ailleurs, doivent faire face à une crise démographique qui pèse sur le dynamisme de leur économie, les États-Unis restent un pays d’immigration qui admet, chaque année, un million d’immigrants légaux, essentiellement asiatiques et latino-américains, qui s’intègrent dans le pays ni mieux ni moins bien que les vagues qui les ont précédés.

La crise politique qui secoue les États-Unis ne doit donc pas faire oublier la réalité d’un pays qui dispose de tous les atouts qui en font la première puissance au monde. Ces atouts, ils entendent les conserver. Ils investiront ainsi vingt milliards de dollars pour devenir autonomes dans le domaine des microprocesseurs et ils ont strictement limité les transferts de technologie vers leur rival chinois. Ce pays immense à sa manière toujours un peu chaotique a encore l’avenir devant lui.

LE POINT